La saison estivale 2017 a connu son lot de décisions rendues en matière de marques portant sur les vins.
Sans révolutionner le domaine, les décisions illustrent des cas classiques en matière de marques viticoles, avec notamment la question fréquente des noms patronymiques déposés à titre de marques. Ces décisions intégrant des noms de famille seront analysées avant celles plus classiques portant sur des signes arbitraires.
A noter qu’il s’agit essentiellement de décisions rendues sur opposition, ce qui implique théoriquement une comparaison objective des marques en cause, sans prendre en considération les conditions concrètes de commercialisation.
1. Les décisions portant sur des marques incluant des noms de famille
(i) COLLET contre Laurent COLLET (CA Douai, 14 septembre 2017) : risque de confusion
Commençons par l’arrêt de la Cour d’appel de Douai du 14 septembre 2017 qui statuait en recours sur opposition devant l’INPI. M. Laurent COLLET a déposé la demande de marque verbale Laurent COLLET en classe 33 pour les vins. Une coopérative a formé opposition sur la base d’une marque antérieure verbale COLLET pour les mêmes produits. L’INPI a fait droit à l’opposition et a rejeté la demande de marque Laurent COLLET.
La Cour d’appel va confirmer le bien-fondé de l’opposition en retenant que « le fait d’utiliser le nom de COLLET, tel que présenté dans sa demande d’enregistrement par M. Collet, pour la commercialisation de produits similaires, même en y adjoignant un prénom, crée un risque de confusion dans l’esprit d’un consommateur d’attention moyenne, dès lors que ce mot est prédominant dans la marque verbale que M. Collet a déposée ».
La solution est classique mais le raisonnement de la Cour est plus original. En effet, alors qu’il s’agit de comparer deux marques verbales, les magistrats se fondent notamment sur une analyse des étiquettes pour en déduire que le terme COLLET y est prépondérant : « il résulte de la comparaison des étiquettes produites que le mot COLLET est prépondérant dans les deux cas car il est plus visible ».
Une telle appréciation in concreto est contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation qui impose une appréciation abstraite entre les marques (Cass. Com, 20 septembre 2016 : « Attendu qu’est interdite, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion, l’imitation d’une marque pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ; que le risque de confusion doit s’apprécier globalement, par référence au contenu des enregistrements des marques, vis-à-vis du consommateur des produits tels que désignés par ces enregistrements et sans tenir compte des conditions d’exploitation des marques ou des conditions de commercialisation des produits »).
(ii) LUCE contre HONORE LUCE (INPI, 19 juillet 2017) : risque de confusion
Le titulaire de le marque de l’Union Européenne pour des vins a formé opposition contre la demande de marque verbale HONORE LUCE désignant notamment des vins.
L’INPI considère qu’il existe un risque d’association entre les signes car « force est de constater que la dénomination LUCE apparaît dominante au sein du signe contesté où, précédée du prénom HONORE, elle forme avec celui-ci un ensemble dans lequel la dénomination LUCE, perçue comme un nom de famille, apparaît essentielle en ce qu’elle permet à elle seule d’identifier une personne physique par l’appartenance à une famille, contrairement au prénom HONORE qui ne sert qu’à identifier un membre de cette famille ». De plus, dans la marque antérieure, l’INPI considère que le signe LUCE présente un caractère dominant par rapport au soleil.
Cette décision est conforme aux critères habituels d’appréciation de l’INPI qui fait généralement prédominer le nom sur le prénom en cas de marque patronymique. Il est néanmoins dommage que l’INPI ne prenne pas davantage en compte l’élément figuratif de la marque antérieure qui est parfaitement distinctif pour les vins.
(iii) DE LAGUICHE contre DOMAINE DE LA GUICHARDE (INPI, 13 juillet 2017) : risque de confusion
Le titulaire de la marque de l’Union Européenne DE LAGUICHE pour des vins a formé opposition contre la demande de marque française DOMAINE DE LAGUICHARDE pour des « vins d’appellation d’origine protégée ; vins à indication géographique protégée ».
L’INPI a considéré qu’il existe un risque de confusion puisque le terme DOMAINE est dépourvu de caractère distinctif dans le domaine viticole et les termes DE LAGUICHE et DE LAGUICHARDE ont une physionomie et une prononciation proche.
(iv) MARQUIS DE LA FAYETTE contre DOMAINE DE LA FAYETTE (INPI, 10 juillet 2017) : risque de confusion
La société titulaire de la marque verbale MARQUIS DE LA FAYETTE pour des vins a formé opposition contre une demande de marque DOMAINE DE LA FAYETTE également pour des vins.
L’INPI a considéré que dans les deux signes, seuls les éléments DE LA FAYETTE retiendront l’attention du consommateur car les termes MARQUIS et DOMAINE sont dépourvus de caractère distinctif « dès lors qu’il s’agit pour le premier d’un terme réglementé dans le domaine des produits en cause, à savoir le domaine vitivinicole, et pour le second, d’un simple titre nobiliaire venant simplement introduire les termes DE LA FAYETTE qui le suivent ». L’opposition est donc reconnue bien-fondée.
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Toutes ces décisions montrent l’intérêt de protéger son nom de famille pour un exploitant viticole. En effet, la protection accordée par le droit des marques est beaucoup plus efficace que celle procurée par les droits de la personnalité. En particulier, le titulaire d’une marque peut former opposition devant l’INPI contre une demande de marque portant atteinte à ses droits alors que le titulaire d’un nom patronymique est obligé d’engager une procédure judiciaire pour obtenir la protection de son nom, et démontrer en quoi il est porté atteinte à son nom.
2. Les décisions portant sur des marques arbitraires
(i) PREMIERES GRIVES contre PREMIER GIVRE (CA Bordeaux, 6 juillet 2017) : risque de confusion
La société CHATEAU DE TARIQUET est titulaire de la marque « Premières Grives » pour des vins. Elle a constaté l’exploitation de vins sous la dénomination « Premier Givre » et a agi devant le Président du Tribunal de grande instance de Bordeaux pour obtenir, sur requête, la cessation de commercialisation (et donc sans que le défendeur ne puisse faire valoir son argumentation en défense).
Sur le fond, la Cour d’appel a reconnu la vraisemblance de l’atteinte aux droits de marque, ce qui constitue le critère prévu par l’article L. 716-6 du Code de la propriété intellectuelle pour prononcer une interdiction provisoire. Elle retient que « outre le rapprochement entre ‘Premières Grives’ et ‘Premier Givre’, la présence sur les étiquettes du second d’un dessin d’oiseau présentant de très grandes similitudes avec celui présent sur les étiquettes du premier ».
Sur le plan procédural, la Cour d’appel a considéré que la procédure sur requête était justifiée en l’espèce car « il existe bien une véritable urgence dans la mesure où nonobstant les opérations de saisie contrefaçon et les éléments qui en résultent, la commercialisation des produits litigieux n’a aucunement été stoppée mais au contraire demeure massive. Si le débat contradictoire est le principe, il apparaît qu’en l’espèce tout retard serait effectivement de nature à causer un préjudice irréparable à l’appelante en ce que devant la juridiction saisie au fond il pourra certes se résoudre en dommages et intérêts mais sans qu’on puisse revenir sur les commercialisations intervenues depuis les opérations de saisie contrefaçon et sur la banalisation du produit qui en résulte. L’ensemble des pièces versées à l’appui de l’appel justifient d’opérations de commercialisation massives conduisant à une aggravation rapide du préjudice de sorte que l’appelante est effectivement bien fondée à obtenir sur requête une mesure d’arrêt. ». Il est rare que les magistrats acceptent de prononcer une telle interdiction sur requête, mais cette décision montre qu’une justification étayée de l’aggravation rapide du préjudice subi peut permettre de l’obtenir.
(ii) PREMIERE(S) GRIVE(S) contre CHANTEGRIVE LA GRIVE ROUGE (INPI, opposition, 30 juin 2017) : risque de confusion
Décidément très active, la société CHATEAU DE TARIQUET, titulaire de la marque verbale « PREMIERE(S) GRIVE(S) » pour des vins a formé opposition contre la demande de marque « CHANTEGRIVE LA GRIVE ROUGE » pour les mêmes produits.
L’INPI a reconnu l’opposition bien-fondée en retenant que « la dénomination GRIVE(S) présente un caractère essentiel tant dans la marque antérieure que dans le signe contesté ». L’institut précise que « cet élément est de nature à retenir fortement l’attention des consommateurs en raison de sa répétition à deux reprises dans le signe contesté ; que de plus, les éléments qui l’accompagnent contribuent à le mettre en valeur, soit qu’ils viennent seulement le qualifier par une couleur particulière (LA… ROUGE), soit qu’ils viennent rappeler le chant de cet oiseau (CHANTEGRIVE) »
Cette décision est contestable en ce qu’elle confère un quasi-monopole sur toute déclinaison du mot GRIVE(S) pour des vins et ce, sans que le titulaire de la marque antérieure n’ait invoqué une quelconque notoriété.
(iii) LEO BY LEO contre LES COMPTOIRS DE LEO (INPI, 26 juin 2017) : risque de confusion
Le titulaire de la marque verbale LEO BY LEO pour des vins a formé opposition contre la demande de marque verbale LES COMPTOIRS DE LEO désignant notamment les vins.
L’INPI y voit un risque d’association en retenant le caractère distinctif et dominant de LEO alors que « LES COMPTOIRS DE évoquent un établissement commercial, où les produits et services en cause sont susceptibles d’être proposés au public, et se rapportent au terme LEO pour le mettre en exergue » et que « au sein de la marque antérieure, la dénomination LEO présente un caractère dominant en raison de sa présentation en attaque et sa répétition en fin de signe, et dans la mesure où le terme BY est un terme très court qui renvoie en l’espèce à LEO ».
Cette décision est également surprenante et revient à donner une protection exacerbée au terme LEO.
(iv) DEUS contre DEUS VINUM (INPI, 4 juillet 2017) : risque de confusion
Le titulaire de la marque DEUS pour des boissons alcooliques a logiquement obtenu le rejet de la demande de marque DEUS VINUM pour des vins. En effet, l’INPI a considéré à juste titre que le terme VINUM est faiblement distinctif pour les produits en cause.
(v) CHATEAU LATOUR contre LA TOUR MERCIER (INPI, 6 juillet 2017) : absence de risque de confusion
Le titulaire de la marque bien connue CHATEAU LATOUR a formé opposition contre la demande de marque LA TOUR MERCIER désignant notamment des vins.
L’INPI rejette cette fois l’opposition en estimant notamment que LA TOUR MERCIER ne peut pas apparaitre comme le second vin de CHATEAU LATOUR et qu’il n’y a pas de risque d’association compte tenu des nombreuses différences.
Il faut relever que l’INPI considère dans cette décision que le consommateur est particulièrement attentif dans le domaine des vins : « dans le domaine des boissons alcooliques et notamment des vins, le consommateur est habitué à distinguer des marques souvent composées des mêmes termes, en les percevant comme désignant des noms de lieux distincts ; qu’il s’ensuit que le consommateur porte une attention particulière aux marques de vins et d’alcools et sera d’autant plus apte à différencier les signes en présence ». Ce consommateur de référence particulièrement attentif ne semble pourtant pas être la norme dans les autres décisions de l’INPI.
(vi) MANON contre CHATEAU LAMANON (INPI, 7 juillet 2017) : risque de confusion
Le titulaire de la marque verbale MANON a formé opposition contre la demande de marque CHATEAU LAMANON, les deux marques désignant des vins.
Ici encore, l’INPI considère qu’il existe un risque de confusion car CHATEAU n’est pas distinctif dans ce domaine et « la présence de l’élément LA, accolé à l’élément verbal –MANON, n’est pas de nature à écarter une perception très proche de ces deux dénominations MANON/LAMANON qui restent dominées par leur séquence commune et particulièrement sonore –MANON »
(vii) LE PACTE DES ANGES contre EAU DES ANGES (INPI, 21 juillet 2017) : absence de risque de confusion
L’opposition concernait la marque antérieure verbale LE PACTE DES ANGES contre la demande verbale EAU DES ANGES, les deux signes désignant notamment des vins.
L’INPI rejette l’opposition. En effet, la seule présence commune des termes « DES ANGES » ne suffit pas à caractériser car il ne revêt pas un caractère dominant. Selon l’INPI, « les signes en cause seront perçus, par le consommateur d’attention moyenne, comme des expressions formant un ensemble à la signification très distincte, la marque antérieure évoquant un accord conclu entre plusieurs anges alors que le signe contesté évoque de l’eau de provenance céleste ».
L’appréciation globale du risque de confusion par l’INPI conduit à juste titre à cette solution.
(viii) GATO NEGRO contre Gat’ô Sarah Abitan (INPI, 18 juillet 2017) : risque de confusion
Le titulaire de la marque verbale GATO NEGRO a formé opposition contre la demande de marque , désignant notamment des vins.
L’INPI a considéré l’opposition bien-fondée en retenant que les termes GATO/GAT’O apparaissent distinctifs et essentiels dans les signes en cause. En particulier, l’INPI ne tient pas compte du nom inscrit dans la demande de marque car ces termes sont « inscrits sur une ligne inférieure en plus petits caractères sont quant à eux moins perceptibles ».
Jérôme TASSI