Le 1er avril 2019, l’Institut Stanislas de Boufflers organisait une conférence au Sénat sur le droit des marques (https://www.orisavocats.com/intervention-de-jerome-tassi-lors-de-conference-1er-avril-2019-senat-strategies-procedurales-marques/).
L’article ci-dessous est une retranscription légèrement augmentée de mon intervention. En effet, à compter du 1er avril 2020, les nouvelles procédures administratives en déchéance et en nullité entrent en vigueur. Ces actions vont entrainer une profonde refonte des stratégies procédurales en France.
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Introduction
« Celui qui sait le mieux doser les stratégies directes et indirectes remportera la victoire » (Sun Tzu)
La connaissance du droit substantiel de la propriété intellectuelle est une condition sine qua none pour aborder sereinement un dossier dans cette matière. Le « savoir » de l’avocat spécialiste peut aujourd’hui facilement être enrichi par les traités dans ce domaine[1] et par l’accès aux décisions de jurisprudence européenne et française permettent de trouver les décisions pertinentes pour chaque cas d’espèce.
Ce savoir trouve sa concrétisation dans la définition de la stratégie procédurale propre à chaque dossier, définition qui constitue la compétence véritable de l’avocat. Ce savoir-faire de l’avocat lui est propre et s’acquiert par l’expérience et la multiplication des situations juridiques rencontrées. Il n’a pas vocation à être divulgué ni exposé au grand jour. Au contraire, ce savoir-faire doit rester confidentiel, dans le secret des cabinets d’avocats, pour que les parties adverses et leurs conseils ne puissent pas anticiper trop facilement la stratégie. Il n’y a ainsi pas d’articles ou de colloques sur les stratégies procédurales et les ouvrages de référence en propriété intellectuelle n’y font guère référence.
Outre le secret attaché aux stratégies procédurales, cette notion n’a a priori pas une connotation positive. En réalité, il s’agit sans doute d’une méprise car la stratégie est souvent confondue avec les manœuvres procédurales, les stratagèmes qui relèveraient de la malice de l’avocat.
La notion de stratégies procédurales est pourtant beaucoup plus complexe et ne saurait être réduite à ce niveau basique.
Initialement, la stratégie désigne une partie de la science militaire qui traite de la coordination des forces armées (en intégrant les aspects politiques, logistiques et économiques) dans la conduite d’une guerre ou dans l’organisation de la défense d’une nation ou d’une coalition[2]. Lorsque les forces armées entrent sur le champ de bataille, on parle alors de tactique qui vise à assurer l’évolution des forces en fonction de l’avancée de la bataille.
En théorie des jeux, la stratégie est définie comme un ensemble cohérent de décisions que se propose de prendre un agent assumant des responsabilités, face aux diverses éventualités qu’il est conduit à envisager, tant du fait des circonstances extérieures qu’en vertu d’hypothèses portant sur le comportement d’autres agents intéressés par de telles décisions.
Ces définitions peuvent être parfaitement transposées à la procédure contentieuse en distinguant trois niveaux :
- La stratégie procédurale au sens noble qui vise l’ensemble des actions à mener en vue d’un résultat. Cette stratégie est déterminée en amont de la procédure pour le demandeur et dès qu’il est assigné pour le défendeur (ou même antérieurement si un risque a été anticipé avant toute action judiciaire). Il s’agit d’avoir une vue globale des forces et faiblesses du dossier et fixer les buts à atteindre. Une stratégie procédurale est nécessairement finalisée.
- La tactique procédurale qui est la mise en œuvre concrète de la stratégie procédurale, une fois la procédure engagée.
- Les manœuvres procédurales qui constituent l’application parfois malicieuse ou détournée des règles de procédure en vue d’obtenir un résultat qui n’est pas toujours avouable (par exemple, former un incident de nullité d’assignation ou d’incompétence dans le seul but de gagner du temps). Ces manœuvres procédurales sont souvent subies par la partie adverse mais une bonne stratégie procédurale doit les anticiper et peut permettre, dans certains cas, d’en limiter les effets.
Pour définir une stratégie procédurale efficace, il est primordial de définir le ou les buts principaux à atteindre, que ce soit pour le demandeur mais également pour le défendeur.
En général, l’objectif premier du demandeur qui détecte une contrefaçon est d’obtenir la cessation des actes litigieux. Mais des buts alternatifs ou complémentaires peuvent être envisagés : obtenir une décision rapide (par exemple pour agir ensuite contre d’autres défendeurs en invoquant la première décision), obtenir des dommages-intérêts conséquents, obtenir une publication sur Internet, exercer une pression sur le défendeur dans le but d’obtenir un accord portant sur des aspects extérieurs à la procédure, etc.
La détermination des buts va permettre au demandeur de choisir parmi les possibilités procédurales : opter pour la voie civile ou pénale, éventuellement engager une saisie-contrefaçon avant d’engager le procès, assigner en référé, à jour fixe ou plus classiquement au fond, choisir le Tribunal qui lui semble le plus favorable pour accorder les mesures qu’il souhaite, etc.
Les finalités d’une procédure doivent également être analysées par le défendeur qui subit une action en contrefaçon. En complément de l’évaluation juridique et financière du risque de condamnation, le défendeur doit déterminer s’il souhaite gagner du temps (par exemple pour éviter une interdiction car le brevet arrive bientôt à expiration), s’il souhaite parvenir à un accord ou s’il souhaite un vrai débat au fond pour sécuriser sa position juridique. Ces buts vont déterminer sa stratégie procédurale et notamment le choix des contre-attaques envisageables, notamment par le biais des demandes reconventionnelles ou d’actions parallèles.
Les apports récents qu’ils soient jurisprudentiels, législatifs ou technologiques impliquent un profond renouvellement des stratégies procédurales dans les dossiers de contrefaçon de marque. Ces apports ont deux effets significatifs : l’optimisation des stratégies procédurales (I) et la diversification des stratégies procédurales (II).
[1] Parmi les plus récents, J. Raynard, E. Py, P. Trefigny, Droit de la propriété industrielle, Lexisnexis, 1ère ed. 2016
[2] http://www.cnrtl.fr/definition/strat%C3%A9gie