Corporate venture : Le choix du partenaire

Mathieu Siraga, avocat associé AGIL'IT - Private equity & M&AMathieu Siraga, associé co-animant l’équipe private equity & M&A, nous apporte son expertise sur le corporate venture et l’importance du choix du partenaire corporate.

Le corporate venture pourrait sommairement se définir comme la prise de participation minoritaire d’un groupe (le “Corporate”) directement ou indirectement dans une entreprise innovante (la “Cible”).

Le choix d’un Corporate pertinent et adapté à la cible et inversement, sera le fruit de la compréhension des besoins et attentes de chacun et de la faculté d’évolution de leurs relations par des mécanismes contractuels adaptés à leurs objectifs respectifs.

Si nous partions du premier postulat que l’entreprise innovante, qu’elle soit une PME ou une ETI, doit comprendre et anticiper la stratégie du Corporate pour faire le meilleur choix du partenaire auquel elle ouvrira les portes de son savoir-faire et de sa R&D.

Si nous partions du second postulat que le financement de la cible reste à ce jour l’une des difficultés majeures de son déploiement industriel.

Le Corporate Venture ou Capital Investissement Entreprise

Les incitations fiscales (*) proposées au Corporate dans le cadre de sa souscription au capital de la Cible ne sont pas, de toute évidence, les principaux moteurs des choix d’investissements du Corporate.

En effet, le corporate venture ou, dans la langue de Molière, le capital investissement d’entreprise (le « CIE ») n’est pas nouveau. Il a connu de nombreuses évolutions, des périodes fastes et de déclins au cours des 50 dernières années, accompagnant les flambées du pétrole, les bulles internet ou immobilières. Il s’est ainsi structuré sans pour autant prendre toute la place que les macro-économistes pouvaient en attendre.

Malgré la relative faiblesse de sa contribution au financement des entreprises innovantes (estimée entre 5 et 10 %), il est aujourd’hui considéré comme l’un des piliers du financement des entreprises innovantes quel que soit leur stade d’évolution (amorçage ou développement).

Le corporate venture reste protéiforme car le Corporate investit directement via sa holding, une filiale dédiée, ou indirectement via un fonds dédié ou un fonds multicorporate. Il peut également investir, dans le cadre d’une diversification de ses placements, en qualité de simple investisseur via des fonds indépendants, au même titre que les banques privées ou publiques, assureurs, family offices ou même particuliers sollicités dans le cadre de leur épargne.

Comprendre l’objectif et la stratégie d’investissement de son interlocuteur corporate

La Cible à la recherche de financement auprès de Corporate doit comprendre l’objectif et la stratégie d’investissement de son interlocuteur, qu’il soit représenté par les équipes internes du Corporate ou les sociétés de gestion mandatées par ce dernier dans le cadre de la gestion de fonds captif ou semi-captif.

Cette compréhension lui permettra d’appréhender au mieux le partenaire Corporate qu’il recherche et d’éviter ainsi le mauvais choix, pour autant qu’il en ait un !

En employant à dessein le terme de « mauvais choix », il ne s’agit pas de remettre en cause la qualité du Corporate, mais uniquement de souligner la bonne adéquation de ses objectifs et de ses attentes avec celles du management de la Cible.

Le Corporate réalisant un investissement financier avant tout

Le Corporate peut faire le choix d’un positionnement purement financier (le choix du véhicule qu’il utilisera sera un marqueur fort). Dans ce cas, la Cible devra le considérer véritablement comme un simple investisseur financier au même titre qu’un VC classique. Son objectif sera le retour sur investissement (le TRI). Il pourra néanmoins se distinguer des VC classiques au regard de la durée de son investissement (son horizon de sortie ne sera pas forcément calé sur la durée fiscale de l’incitation dont ses souscripteurs auront bénéficié).

Le Corporate réalisant un investissement stratégique, un partenariat industriel

A l’opposé, le Corporate peut faire le choix d’un investissement stratégique au regard de son positionnement sur son marché et des opportunités qu’il identifie chez la Cible. Ce Corporate aura fait l’analyse de ses faiblesses, et des limites de son développement via ses ressources internes et notamment sa Recherche & Développement. Celle-ci ne dispose parfois pas des équipes suffisantes pour mener à bien de nouveaux projets ou n’a pas la liberté d’action dont bénéficie naturellement la Cible.

Le Corporate doit veiller à l’évolution des besoins sur son marché ou ses marchés connexes. Il a plusieurs outils à sa disposition, comme l’acquisition de concurrents ou d’entreprises aux activités connexes qui lui permet d’augmenter sa part de marché par de la croissance externe. Il peut aussi mettre en place des outils de veille technologique au travers des réseaux professionnels pour sentir l’évolution de son marché et s’y adapter. Dans ce second cas, le Capital Investissement Entreprise prend alors toute sa signification. Il s’agit alors pour le Corporate d’envisager un partage de son propre savoir-faire et de sa technologie avec la Cible qui va, par son agilité technologique et son analyse différente du marché, insuffler au Corporate les nouveaux relais de croissance qu’il peut parfois peiner à trouver en interne.

La Cible, dans cette configuration, peut considérer le Corporate comme un partenaire industriel à la recherche de relais de croissance ayant avec la cible un objectif commun de déploiement de nouvelles solutions adaptées à leur marché commun ou à de nouveaux marchés.

L’apport du Corporate va au-delà du financement. Il peut apporter également son savoir-faire pour le déploiement commercial de la Cible, pour le management de ses projets innovants, pour sa stratégie marketing indispensable à la commercialisation de ses produits …

Son investissement est motivé par l’innovation apportée par la Cible ou qui sera développée par celle-ci, soit seule, soit en lien avec la R&D du Corporate.

La Cible sera alors confrontée à une problématique toute autre que la non-performance financière, source de conflit avec les VC classiques, il s’agit du partage de son innovation.

Si le Corporate peut se révéler un formidable relais de croissance pour la Cible, son côté prédateur pourrait se révéler, si le management de la Cible n’est pas à la hauteur de ses attentes.

Réunir les conditions de réussite du partenariat

Le tableau dépeint est volontairement manichéen. La réalité se trouve comme souvent entre ces deux situations extrêmes.

L’entreprise innovante avertie sera ainsi en mesure d’identifier les ressorts du Corporate avec lequel elle échange et avec lequel elle partagera les joies et les peines de l’aventure qu’elle a lancée seule, mais qu’elle ne peut désormais déployer sans l’aide d’investisseurs financiers ou Corporate.

Cette analyse indispensable par la cible recherchant des financements conditionnera sans aucun doute, la réussite de son projet et l’éclosion ou le déploiement commercial de son innovation.

L’analyse ainsi faite, elle pourra confronter sa propre stratégie à celle du Corporate et convenir avec lui des meilleures conditions de leur partenariat qu’il soit purement financier, purement stratégique, ou plus vraisemblablement, un savant dosage des deux.

La documentation contractuelle de l’opération de corporate venture qui résultera de la convergence des stratégies déployées par le Corporate et la Cible sera l’une des composantes essentielles de la réussite du partenariat.

Elle devra notamment rappeler les objectifs de chacune des parties et les décliner dans le temps afin que chacune se rappelle les motifs de leur rapprochement et l’objectif final de ce partenariat financier et souvent économique.

Elle devra également définir les grandes étapes du rapprochement et la durée des accords, les modalités du partenariat et les objectifs de sortie de chacune des parties.

Un partenariat bilatéral et évolutif

Bien évidemment ce partenariat pourra évoluer dans le temps et les parties devront accepter l’idée de milestones réguliers pour anticiper ces évolutions.

Si une coopération technique et opérationnelle est prévue, elle doit être transparente, le Corporate doit ouvrir sa technologie et son savoir-faire pour permettre à la Cible de gagner du temps dans le déploiement de ses solutions innovantes. L’innovation ouverte est bilatérale, voire multilatérale.

La Cible ne doit pas hésiter à faire part de ses difficultés et de ses progrès afin que le Corporate puisse l’aider à se réorienter et à affiner sa stratégie de recherche ou de commercialisation. Ainsi, le Corporate, véritable accélérateur de l’innovation, pourra proposer une assistance pour le déploiement de la stratégie marketing de la Cible et/ou mettre son propre réseau de distribution à la disposition de celle-ci.

Le projet proposé par le Corporate à la Cible est ambitieux mais il est aussi motivant.

Les grands groupes nationaux et internationaux ne s’y sont pas trompés et ne manquent pas de s’inscrire dans ce schéma.

Les VC classiques y trouvent également leur intérêt et s’appuient parfois sur l’analyse technique du Corporate dans le cadre de co-investissements.

On peut légitimement se demander si les Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI), formidables moteurs du tissu économique national et de sa croissance, sauront, elles aussi, se positionner rapidement sur ce segment, dans une logique de croissance et d’innovation partagées…

Par AGIL’IT – Réglementation Financière – Marché des Capitaux
Mathieu Siraga, avocat associé

Références

* Incitations fiscales : dispositif introduit par l’article 15 de la Loi de finance rectificative 2013 et modifié par l’article 76 de Loi de finance rectificative pour 2014 et l’article 81 par la Loi n°2015-1786 du 29 décembre 2015).