Aménagement du régime d’amortissement des fonds commerciaux par la loi de finances pour 2022

 

S’inscrivant dans le plan en faveur des indépendants annoncé par le gouvernement en septembre dernier, la loi de finances pour 2022[1] vient adapter temporairement le traitement fiscal de l’amortissement comptable de certains fonds commerciaux.

 

Cet article autorise la déductibilité fiscale de l’amortissement des fonds commerciaux acquis entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2025.

 

Au-delà de cet aménagement temporaire, la loi de finances pour 2022 est venue figer le principe de non-déductibilité fiscale de l’amortissement comptable du fonds commercial, consacrant la déconnexion fiscalo-comptable du régime de ces amortissements.

 

Régime actuel – la déconnection entre l’appréciation fiscale et comptable de la valorisation du fonds commercial 

 

Le fonds commercial, notion purement comptable, doit être distingué de la notion juridique de fonds de commerce. Selon le plan comptable général[2] il comprend les éléments incorporels du fonds de commerce acquis :

 

  • “qui ne font pas l’objet d’une évaluation et d’une comptabilisation séparées au bilan”[3] ; et
  • “qui concourent au maintien et au développement du potentiel d’activité de l’entité ».

Plus précisément il est composé de la clientèle, de l’achalandage, de l’enseigne et du nom commercial.

 

Traitement comptable

 

Le fonds commercial est comptablement réputé avoir une durée d’utilisation non limitée.[4] En principe il est donc non amortissable.

 

Il s’agit néanmoins d’une présomption simple. Ainsi, lorsqu’il est possible de déterminer une durée d’utilisation limitée du fonds commercial, un amortissement comptable peut être constaté sur cette durée, ou sur 10 ans si cette durée ne peut pas être estimée de façon suffisamment fiable.

 

C’est notamment l’hypothèse d’un arrêt programmé de l’activité comme en cas de bail à terme ou de contrat de concession.

 

Par simplification, les petites entreprises[5] sont autorisées à amortir sur 10 ans l’ensemble de leurs fonds commerciaux.

 

Par ailleurs, pour les fonds commerciaux dont la durée d’utilisation n’est pas limitée, un test de dépréciation sera réalisé au moins une fois par exercice, qu’il existe ou non un indice de perte de valeur. Une provision est donc comptabilisée toutes les fois où la perte de valeur n’est pas irréversible.

 

Traitement fiscal

 

La position bien établie de l’administration fiscale est la non-déductibilité fiscale des amortissements comptables des fonds commerciaux. En effet, en application du code général des impôts, la dépréciation des immobilisations qui ne se déprécient pas de manière irréversible, notamment les terrains, les fonds de commerce ou les titres de participation, donne lieu à la constitution de provisions.[6]

 

Elle en conclut que la dépréciation du fonds de commerce donne lieu à la constitution de provisions[7] et non d’amortissements.

 

La constatation fiscale d’un amortissement du fonds commercial a en outre été rendue quasiment impossible par la jurisprudence du Conseil d’Etat qui a rappelé à de nombreuses reprises qu’un élément d’actif incorporel identifiable, incluant le fonds commercial, ne peut donner lieu à une dotation à un compte d’amortissement que s’il est normalement prévisible, lors de sa création ou de son acquisition, que ses effets bénéfiques sur l’exploitation prendront fin à une date déterminée.

 

Le Conseil d’Etat est par ailleurs venu préciser que les amortissements comptabilisés par les petites entreprises sans avoir à justifier de l’irréversibilité de leur dépréciation ne pouvaient être déduits fiscalement.[8]

 

Le Conseil d’Etat vient ainsi consacrer une totale déconnexion entre l’appréciation comptable et fiscale de la valeur du fonds commercial : le fonds commercial, qui ne se déprécie pas de manière irréversible, n’est pas amortissable ; il peut en revanche donner lieu à la constitution de provisions qui seront admises en déduction du résultat imposable dans les conditions de droit commun.

 

Nouveau régime

 

Principe de non-déductibilité fiscale de l’amortissement comptable du fonds commercial

 

L’opposition de l’administration fiscale à la déductibilité fiscale de l’amortissement du fonds commercial n’avait jusqu’à présent qu’un fondement textuel indirect.

 

Désormais, ce principe de non-déductibilité de l’amortissement du fonds commercial est inscrit dans la loi. En effet, la loi de finances pour 2022 est venue ajouter un alinéa à l’article 39, 1, 2° du CGI qui prévoit que « Toutefois, ne sont pas admis en déduction les amortissements des fonds commerciaux ».[9]

 

Cette formulation rend impossible la déduction fiscale de tout amortissement du fonds commercial, quelles qu’en soient les modalités de comptabilisation. Le législateur va même au-delà de la jurisprudence du Conseil d’Etat rappelée ci-dessus qui ne s’était jamais opposé à la déduction des amortissements comptabilisés lorsqu’il pouvait être rapporté que la durée d’utilisation du fonds commercial était limitée dans le temps.

 

On regrettera cette interdiction absolue qui ne se justifiera pas toujours face à la réalité économique et aux modalités d’exploitation de certains fonds.

 

Il doit être noté qu’en l’absence de possibilité de déduction fiscale, l’amortissement comptable du fonds ne présente strictement aucun intérêt. Pire, la dotation aux amortissements viendra diminuer le résultat comptable de la société, et donc ses capacités de distribution, sans procurer aucun avantage fiscal. Cela aura indéniablement pour effet de donner une image dégradée – même si fidèle – des fonds propres et donc de la situation financière de la société ce qui constituera un sérieux désavantage en cas de cession de l’entreprise ou de levée de fonds.

 

En cas de perte de valeur du fonds, la pratique de la dépréciation sera alors à privilégier.

 

Dérogation temporaire au principe de non-déduction fiscale de l’amortissement du fonds commercial

 

Le législateur a souhaité venir favoriser les opérations d’acquisition et de reprise de fonds commerciaux dans la période d’incertitude économique actuelle. L’idée est de permettre aux investisseurs de réduire le coût de reprise d’une entreprise par la réalisation d’une économie d’impôt liée à la déduction fiscale de l’amortissement comptable du fonds commercial.

 

La loi de finances pour 2022 est ainsi venue insérer un nouvel alinéa à la suite de l’alinéa second de l’article 39, 1, 2° précité, selon lequel : « Par dérogation à l’alinéa précédent, sont admis en déduction les amortissements constatés dans la comptabilité des entreprises au titre des fonds commerciaux lorsqu’ils sont acquis à compter du 1er janvier 2022 et jusqu’au 31 décembre 2025 ».[10]

 

(i) Amortissements régulièrement comptabilisés

 

La loi de finances recrée une connexion entre comptabilité et fiscalité. Les amortissements régulièrement comptabilisés conformément aux principes rappelés ci-dessus (cf. supra « Traitement comptable ») seront déductibles fiscalement sans qu’aucun ajustement extra-comptable ne soit nécessaire. Pour rappel il s’agit :

 

  • De l’amortissement des fonds commerciaux dont la durée d’utilisation est limitée dans le temps ; ou
  • De l’amortissement des fonds commerciaux acquis par des petites entreprises au sens de l’article L. 123-16 du code de commerce.

(ii) Amortissement du fonds commercial

 

En pratique, le nouveau régime temporaire dérogatoire s’applique exclusivement au fonds commercial, notion comptable, qui se différencie du fonds de commerce.  En outre, un fonds libéral ou artisanal n’entre pas dans le champ d’application de ce nouveau dispositif.

 

(iii) Amortissement de fonds acquis entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2025

 

Cette reconnexion n’est que temporaire. En effet, le régime dérogatoire vise exclusivement les fonds de commerce acquis entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2025.

 

Le fonds commercial doit donc avoir fait l’objet d’une acquisition, ce qui a pour effet de le faire apparaitre au bilan de la société acquéreuse. Cela sera le cas dans le cadre d’une opération de cession de fonds de commerce à la suite de laquelle les éléments du fonds seront individualisés à l’actif pour leur prix d’acquisition.

 

A contrario, un fonds de commerce créé par la société ne pourra pas bénéficier de cette disposition puisque par définition il n’apparaitra pas à l’actif de la société.

 

Un fonds commercial peut également apparaître à l’actif du bilan suite à l’absorption d’une société dont l’absorbante détient les titres lorsqu’un mali technique est constaté et qu’il correspond à un fonds commercial. La question se pose de la déductibilité fiscale de l’amortissement de ce mali technique. Si l’on s’en tient à la lettre du texte, une fusion n’est pas strictement assimilable à une acquisition et l’amortissement ne devrait donc pas être déductible. Néanmoins les règles propres à la matière fiscale assimilent les opérations d’apports aux acquisitions à titre onéreux.

 

La question se pose dans les mêmes termes s’agissant des opérations d’apport de fonds de commerce lorsque l’apport est exclusivement rémunéré par des titres.

 

Un commentaire de l’administration semble ici souhaitable afin de clarifier les conditions d’application de cet article.

 

L’adaptation corrélative des modalités de comptabilisation des dotations aux provisions pour dépréciation

 

(i) Règles de dépréciation des fonds commerciaux

 

Les entreprises ont l’obligation d’effectuer un test de de dépréciation de leurs actifs lorsqu’il existe un indice de perte de valeur à la clôture.[11] S’agissant plus particulièrement des fonds commerciaux, un tel test est effectué annuellement qu’il existe ou non un indice de perte de valeur.

 

Lorsque la valeur actuelle du fonds est inférieure à sa valeur comptable, une provision pour dépréciation est comptabilisée. Ces provisions sont déductibles fiscalement.

 

Comptablement, ces provisions ne peuvent jamais être reprises, même si les raisons qui ont présidé à leur constatation ont cessé d’exister.[12] Fiscalement, au contraire, les provisions qui, en tout ou en partie, reçoivent un emploi non conforme à leur destination ou deviennent sans objet au cours d’un exercice ultérieur sont rapportées aux résultats de cet exercice[13], malgré l’absence de reprise comptable de celles-ci.

 

(ii) Règles dérogatoires applicables aux fonds dont l’amortissement a été déduit fiscalement

 

La possibilité temporaire offerte de déduire fiscalement l’amortissement comptable d’un fonds commercial pourrait aboutir à une double déduction s’il faisait l’objet, par ailleurs, d’une provision pour dépréciation.

 

Il doit en effet être rappelé que l’amortissement et la provision ont des objets différents, respectivement le constat de la dépréciation d’un bien due au temps ou à l’usage et la prise en compte de la perte de valeur d’un bien due à la survenance d’un événement qui la rend probable.

 

Pour cette raison, le cumul des deux mécanismes est possible.

 

La loi de finances pour 2022 a ainsi complété le quinzième alinéa du 5° de l’article 39 du CGI d’un 2° prévoyant que la provision constatée à raison d’un fonds commercial dont l’amortissement est admis en déduction est rapportée aux résultats imposables de chacun des exercices suivant celui au titre duquel elle a été déduite, pour un montant égal à la différence entre :

 

  • L’amortissement qui aurait été pratiqué si la provision n’avait pas été comptabilisée et
  • L’amortissement effectivement comptabilisé à la clôture de l’exercice.[14]

 

Selon le rapport de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances 2022, cette modalité de reprise de la provision permet d’assurer son transfert à un compte d’amortissement et donc de garantir la simple déductibilité fiscale des amortissements afférents aux fonds commerciaux dépréciés, qui présentent un caractère dérogatoire.

 

Cette mesure, qui articule dépréciation et amortissement constatés au titre d’un même fonds, est destinée à éviter une double déduction fiscale.

 

La possibilité offerte à un chef d’entreprise d’amortir son fonds commercial : un véritable atout lors la transmission des fonds ?

 

Comme déjà évoqué, cette faculté temporaire de déduction fiscale de l’amortissement comptable des fonds commerciaux a pour objet de venir en soutien des opérations d’acquisition et de reprise des fonds. Le texte issu de la loi de finances permet-il d’atteindre les objectifs affichés ?

 

Remarquons tout d’abord que l’évaluation de la valeur d’un fonds commercial, préalable nécessaire à l’amortissement, reste un exercice malaisé. Le risque de rectification comptable de dotation exagérée aux amortissements est ici important, ce qui donnera immanquablement lieu à un redressement fiscal.

 

Des commentaires de l’administration fiscale venant encadrer les modalités de constatation de l’amortissement du fonds commercial seraient ici bienvenus.

 

Par ailleurs, si le constat de la dépréciation définitive de son fonds commercial par le chef d’entreprise conduit indéniablement à réduire le résultat imposable de son entreprise, ce mécanisme a également pour effet de venir gonfler les plus-values futures en cas de cession du fonds commercial. L’avantage n’est ici que temporaire.

 

Cet inconvénient est néanmoins atténué par la possibilité d’appliquer l’un des mécanismes d’exonération des plus-values professionnelles :

 

  • Exonération générale des plus petites entreprises[15];
  • Exonération en cas de cession à titre onéreux d’une entreprise individuelle ou de l’intégralité des droits dans une société de personnes dans laquelle l’associé exerce son activité professionnelle, à l’occasion d’un départ à la retraite[16] ;
  • Exonération en cas de transmission d’une entreprise individuelle ou d’une branche complète d’activité dont la valeur est inférieure à 500 000 € pour une exonération totale, ou 1 000 000 € pour une exonération partielle.[17]

 

Par ailleurs, le régime des plus-values à long terme (taux réduit de 12,8 % hors prélèvements sociaux) peut également s’appliquer pour les entreprises relevant de l’IR dans l’hypothèse d’une cession du fonds commercial 2 ans au moins après son acquisition pour la part de la plus-value excédant le montant des amortissements déduits.[18]

 

 

Par AGIL’IT – Pôles Droit des affaires et Droit fiscal

Salomé GARLANDAT, Avocate associée

Kévin LANNUZEL, Avocat associé

Justine Milliez, élève-avocate

 

[1] L. n° 2021-1900, 30 déc. 2021, art. 23

[2] PCG, art. 212-3, 2

[3] C. Com, art. R123-186

[4] PCG, art. 214-3

[5] C. Com, art. D.123-200 : sont considérées comme de petites entreprises au sens de l’article L 123-16 du Code de commerce les commerçants, personnes physiques ou personnes morales, pour lesquels, au titre du dernier exercice comptable clos et sur une base annuelle, deux des trois seuils suivants ne sont pas dépassés :  – Un total du bilan de 6 000 000 euros ; – Un montant net de chiffre d’affaires de 12 000 000 euros ; – Un nombre moyen de salariés employés au cours de l’exercice de 50.

[6] CGI, ann. III, art. 38 sexies

[7] BOI-BIC-AMT-10-20, 1er mars 2017, § 360

[8] CE, 8e et 3e ch., avis, 8 sept. 2021, n° 453458, SELARL Pharmacie de Bracieux

[9] CGI, art. 39, 1, 2°, al. 2 nouveau

[10] CGI, art. 39, 1, 2°, al. 3 nouveau

[11] PCG, art. 214-15

[12] PCG, art. 214-19

[13] CGI, art. 39, 1, 5°, al. 15

[14] CGI, art. 39, 1, 5°, al. 15 modifié

[15] CGI, art. 151 septies

[16] CGI, art. 151 septies A modifié L. fin. 2022, art. 19, I, 1° et III

[17] CGI, art. 238 quindecies modifié L. fin. 2022, art. 19, I, 2°

[18] CGI, art. 39 duodecies