Obligation de sécurité et faute inexcusable : la nécessaire synthèse opérée par la Cour de cassation

Par deux arrêts rendus simultanément le 8 octobre 2020 (1), la deuxième chambre civile de la cour de cassation est venue réunir deux notions relevant du même objet et pourtant développés séparément. Ainsi, le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

La cour de cassation rationnalise et uniformise ainsi son raisonnement développé ces dernières années (I) pour en tirer une synthèse du lien existant entre obligation de sécurité et la faute inexcusable de l’employeur en cas d’accident du travail (II).

 

1. Les constructions jurisprudentielles de la faute inexcusable de l’employeur et de son obligation de sécurité

 

Le régime de la faute inexcusable de l’employeur

La définition de la faute inexcusable a été révélée dans les arrêts « amiante » de la chambre sociale en 2002 (Soc., 28 février 2002, n° 00-10 051, n° 99-21 555, n° 99-17 201, n° 99-17 221 et autres) (2). L’assemblée plénière l’a ensuite consacrée et généralisée à l’ensemble des accidents du travail en 2005 (chambre assemblée plénière de la Cour de cassation 24 juin 2005 numéro 03- 30. 0 38) (3).

Ainsi, le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L 452-1 du code de la sécurité sociale (4), lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Avec les arrêts « amiante », la Cour de cassation, pour la première fois, rattache la notion d’obligation de sécurité, déjà bien connue en droit des contrats, à celle de la faute inexcusable.

L’autre apport important de l’arrêt « amiante » est de déterminer les conditions cumulatives pour caractériser la faute inexcusable. L’employeur devait avoir ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et le fait qu’il n’ait pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

La faute inexcusable de l’employeur ne pouvant se présumer, la charge de la preuve reposait donc sur la victime.

 

Le régime de l’obligation de sécurité de l’employeur

S’agissant de la teneur de l’obligation de sécurité, la cour de cassation a, en 2015, avec l’arrêt « Air France » (5), puis en 2019 avec l’arrêt « EDF » (6), admis que ne méconnaît pas les obligations légales lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par l’article L. 4121- 1 et L.4121- 2 du code du travail (7).

Ces 2 arrêts énoncent que l’obligation de sécurité pèse sur l’employeur, que celui-ci doit donc prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, et doit apporter la preuve qu’il a satisfait à son obligation en justifiant qu’il a pris toutes les mesures prévues par le code du travail.

La Cour de cassation dans son rapport annuel de 2015 (8) précise que le comportement de l’employeur est placé au centre du débat et il revient au juge d’évaluer le comportement de l’employeur notamment la pertinence des mesures de prévention et de sécurité prises et leur adéquation aux risques connus ou qu’il aurait dû connaître.

 

2. Le rattachement de la faute inexcusable à l’obligation de sécurité

 

La synthèse jurisprudentielle opérée par les arrêts du 8 octobre 2020

Les 2 arrêts de la 2e chambre civile de la Cour de cassation du 8 octobre 2020 viennent synthétiser les jurisprudences précitées en énonçant que le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

La définition de la faute inexcusable reste inchangée, il existe toujours 2 conditions cumulatives : la condition abstraite, à savoir la conscience du danger et la condition concrète, c’est à dire les mesures prises pour préserver le salarié du danger qui s’est réalisé.

Dans ces arrêts de 2020, il est néanmoins précisé que l’absence de mesures pour préserver le salarié du danger qui s’est réalisé, c’est-à-dire les mesures de l’obligation de sécurité de résultat, se traduisant par la mise en œuvre des actions de prévention, d’information, de formation, tant individuelles que collectives des articles L 4121- 1 et suivants du code du travail, sont constitutifs d’une faute inexcusable de l’employeur.

La haute juridiction affirme ainsi que l’obligation de sécurité de l’employeur est la même que l’on soit dans le cadre de l’exécution du contrat de travail, relevant de la compétence de la chambre sociale de la cour de cassation, ou dans le cadre de la reconnaissance de la faute inexcusable liée à un accident de travail et prévu par l’article L.452-1 du Code de la Sécurité Sociale, relevant quant à elle de la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation.

 

Quid de la charge de la preuve

Il est admis que la charge de la preuve pèse sur l’employeur s’agissant de l’obligation de sécurité, d’autant que le rapport de la cour de cassation indique que les juges doivent analyser le comportement de l’employeur.

Doit-on en conclure qu’en matière de faute inexcusable, désormais rattachée à l’obligation de sécurité de l’employeur, la charge de la preuve repose sur celui-ci ?

La victime doit d’abord prouver l’existence d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, ce que la jurisprudence n’a pas manqué de rappeler à plusieurs reprises ces dernières années en énonçant que la faute inexcusable ne peut être retenue que pour autant que l’accident a le caractère d’un accident du travail (Notamment 2eme chambre civile de la cour de cassation, 23 janvier 2020 n°18-19.080) (9). Et, bien que reconnue par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie, l’employeur est libre de contester devant les juges l’existence d’un accident du travail bien que la preuve ne pose pas de difficultés.

Ensuite, c’est à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a bien pris toutes les mesures effectives et nécessaire pour préserver le salarié du danger qui s’est matérialisé parce que la preuve repose sur lui.

Et enfin, on peut supposer que les juges vont alors déterminer si oui ou non il y a une faute inexcusable. Pour cela ils vont devoir analyser le comportement de l’employeur et la nature du danger pour déterminer si ce dernier était imprévisible, échappait à son pouvoir et s’il pouvait ou non en avoir conscience.

La question de la charge de la preuve dépendra donc du moment du raisonnement des juges sur lequel on se situe.

 

Question d’actualité pour tous les employeurs en période de pandémie mondiale !

 

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L’équipes du pôle “Droit social” d’Agil’IT se tient à votre disposition pour vous accompagner dans ce cadre.

 

 

(1)https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/deuxieme_chambre_civile_570/911_8_45617.html et https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/deuxieme_chambre_civile_570/912_8_45618.html

(2)https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007045241

(3)https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007050081/

(4)https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006156141/2020-11-01/

(5)https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/2121_25_33100.html

(6)https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/assemblee_pleniere_22/643_5_41955.html

(7)https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006178066/2009-05-28/

(8)https://www.courdecassation.fr/publications_26/rapport_annuel_36/rapport_2015_7698/livre_3_jurisprudence_cour_7709/iii._arrets_rendus_chambres_7714/b._droit_travail_7716/3._sante_securite_travail_34609.html

(9)https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000041490545/

 

 

Par AGIL’IT – Pôle Droit social 

Sandrine HENRION, Avocate associée