La protection des photographies par le droit d’auteur est particulièrement complexe au regard des exigences jurisprudentielles depuis plusieurs années.
Un arrêt du 9 février de la Cour d’appel de Versailles fait œuvre de pédagogie en rappelant otous les principes de protection des photographies par le droit d’auteur :
- Une photographie est originale lorsqu’elle résulte de choix libres et créatifs de son auteur témoignant de l’empreinte de la personnalité de son auteur.
- Ces choix peuvent être opérés avant la réalisation de la photographie, par le choix de la mise en scène, de la pose ou de l’éclairage, au moment de la prise , par le choix du cadrage, de l’angle de prise de vue, de l’atmosphère créée, ou au moment du développement.
- Le mérite ou la nouveauté de la photographie ne constitue pas des critères . Il en est de même du sujet et de l’utilisation des photographies. L’existence d’une commande n’est pas de nature à exclure l’originalité dès lors qu’aucune directive ou indication précise n’est imposée au photographe.
- Les choix du photographe ne doivent pas avoir été simplement dictés par la mise en valeur du sujet à photographier. Les photographies doivent rendre compte de la conception du photographe lui-même et non de celle de son donneur d’ordre.
- Les clichés ne doivent pas traduire qu’un savoir-faire technique.
Ces principes ne sont pas révolutionnaires et s’inspirent évidemment de l’arrêt PAINER de la Cour de Justice du 1er décembre 2011 (C-145/10) et de la jurisprudence française antérieure (sur laquelle, voir l’excellente présentation du cabinet ARENAIRE: http://www.cabinet-arenaire.com/wp-content/uploads/2017/07/ARENAIRE_Conf%C3%A9rence-Photographie-et-droit-dauteur_05.07.2017..pdf). Ce concentré des règles applicables demeure très utile pour les praticiens.
La Cour d’appel va faire une application très détaillée de chaque critère dans une décision très détaillée:
“Il n’est pas établi que H X ait répondu à une commande destinée à illustrer la pochette de l’album vinyle 33 tours consacré au concerto pour violon de Beethoven interprété par l’artiste et édité sous le label « His Master Voice », de sorte qu’il était libre de ses choix.
Il ressort des productions de Mme Z que, quelle que soit la notoriété de H X, dit A, ce dernier était photographe et également violoncelliste professionnel, ce qui n’est pas contesté.
Il résulte du catalogue réalisé à l’occasion de l’exposition sur le thème « photographier la musique » qui s’est tenue dans une galerie à Paris, au mois de novembre 1994, où étaient exposées des photographies d’A, que sa double appartenance au monde musical et photographique lui permettait une approche particulière des musiciens . Selon le commentateur du catalogue, R-S T, comportant une trentaine de photographies d’artistes, notamment du monde musical, dont le cliché litigieux, son art consistait à saisir le moment, pour révéler quelque chose de la personnalité du modèle ou de l’unicité de l’instant, afin d’aller au-delà des apparences. Il est encore précisé que le photographe s’arrête souvent sur les mains et que dans ses portraits, le jeu de l’ombre et de la lumière vise à mettre en valeur un trait dominant de la personnalité du sujet en même temps que de sa musique.
Le cliché litigieux, pris au cours d’une courte session dans la loge de l’artiste, quand bien même elle s’inscrirait dans quelques prises supplémentaires par rapport à ce que révèle la planche contact qui témoigne de 12 photographies, est d’une particulière sobriété qui a été voulue par H X pour mettre en valeur le visage et la pose de Yehudi Menuhin. Le positionnement de sa main gauche, en attente, sur le manche de son violon dont seule la partie haute apparaît, va à l’encontre de la plupart des photographies de violonistes célèbres produites par les sociétés intimées.
S’il n’y a effectivement aucun élément de décor, cette circonstance a été voulue par H X pour ne pas distraire le spectateur par un élément qui ne serait ni le sujet, ni l’instrument. Cette déduction s’opère à partir de l’examen des photographies de H X exposées en 1994, recolées dans le catalogue ci-dessus mentionné, qui démontre qu’il organisait souvent des mises en scène très dépouillées s’agissant de ses photographies de portrait. Ici, le profil de Yehudi Menuhin se détache sur un fond pâle totalement neutre.
L’accent est en effet mis sur la concentration et la réflexion de l’artiste, ce qui procède d’un choix du photographe, pour révéler un trait de la personnalité de son modèle.
Il ne peut être retenu que la pose prise par Yehudi Menuhin se résume à une posture académique, dans la mesure où son regard n’est orienté ni vers le spectateur, ni vers son instrument. Il résulte du cliché lui-même que la pose et l’attitude à prendre ont été suggérées par le photographe à son modèle, dans la perspective de conférer à la photographie une certaine solennité et de transmettre au spectateur la vision spirituelle de l’artiste par rapport à son art.
H X a, de plus, délibérément composé une ligne diagonale partageant le cliché en deux, partant du sommet du crâne de l’artiste en haut à gauche et suivant le visage de profil de Yehudi Menuhin pour descendre vers la volute du violon, son manche et aboutissant à la main du violoniste repliée sur celui-ci. Il s’agit donc d’une véritable composition obéissant à un parti pris esthétique peu ou pas employé dans les autres clichés du violoniste versés aux débats. En revanche, l’examen de la pièce n°59 -le catalogue de l’exposition A de 1994- de l’appelante ainsi que de sa pièce n° 89, correspondant à une planche contact de 12 clichés représentant Boris Vian – démontre que le recours par H X à des portraits de profil en gros plan privilégiant le suivi d’une ligne diagonale est une des caractéristiques de son art.
Le cadrage procède ainsi d’un choix calculé au moment de la prise de vue, à laquelle est étrangère la « règle des tiers » invoquée par les sociétés intimées.
Enfin, s’agissant de la lumière, il n’est pas contesté que H X n’utilisait pas de flash. S’il n’est pas permis à la cour de se prononcer sur les sources de lumière employées et sur le point de savoir si H X a mis en oeuvre d’autres éclairages que ceux existant dans la loge de l’artiste, l’absence d’utilisation d’accessoires ou de dispositif lumineux spécialement apportés par H X n’exclut pas l’accomplissement d’un travail créatif de ce point de vue, encore plus remarquable en l’absence de recours au flash, dès lors que le visage de Yehudi Menuhin est éclairé dans sa partie avant, avec un effet de contraste par la présence de parties ombrées sur la partie arrière de sa joue, tandis que la main du violoniste posée sur l’instrument reçoit également un apport de lumière. Le recours à l’éclairage présent a permis au photographe, compte tenu du cadrage adopté, de créer des effets d’ombre et de lumière.
Il importe peu de savoir si ce travail a été accompli avant la prise de vue ou postérieurement lors du développement du cliché, dès lors qu’il témoigne d’un savoir faire technique particulier et d’un choix destiné à attirer le regard du spectateur vers les zones éclairées de la photographie.
Il est relevé que H X avait sélectionné quelques photographies de la planche contact, dont la 1228-4 qu’il a soumises à l’appréciation de Yehudi Menuhin. Ce dernier lui a répondu le 19 janvier 1960 pour lui signifier qu’il était d’accord sur le choix de la 1228-4, comme la meilleure, ajoutant qu’il aimait particulièrement sa main sur le violon.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments la preuve que H X a effectué au travers de la sobriété de la mise en scène, de la pose suggérée au sujet, de l’absence de représentation de l’instrument dans son intégralité, limitant celle-ci à la partie sur laquelle repose la main de l’artiste, de la composition de l’image traversée par une ligne diagonale, de son travail sur le cadrage et l’éclairage, des choix personnels et libres caractérisant une création artistique.
La comparaison avec d’autres photographies de Yehudi Menuhin témoigne de l’absence de banalité de la combinaison des choix effectués et d’une approche propre à H X exprimant sa sensibilité personnelle à la musique et son admiration pour l’artiste.
H X a ainsi par son art, conféré à la photographie litigieuse, une particularité originale qui justifie qu’elle soit protégée par le droit d’auteur.”
La photographie du violoniste Yehudi Menuhin est reconnue protégeable et contrefaite en raison d‘une reproduction sans autorisation dans un coffret de CD pour le centenaire de la naissance du célèbre musicien.
Si la protection est accordée ici, la lecture de l’arrêt permet de montrer le standard de preuve élevé qu’il faut apporter pour bénéficier d’une protection pour une photographie.
Jérôme TASSI