Salade niçoise : la distinction entre co-auteur et collaborateur à l’écriture (CA Aix-en-Provence, 13 septembre 2018)
Pour réussir une salade niçoise, il faut réunir de nombreux ingrédients : tomates, poivrons verts ail, oignons rouges, févettes, céleri, petits artichauts violets, concombres, œufs durs, filets d’anchois, olives noires niçoises, et huile d’olive (cette liste étant non exhaustive pour les puristes !). Fallait-il autant d’éléments pour aboutir au spectacle « Mado fait son show » du personnage MADO la Niçoise ? C’est cette question qui a été tranchée par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence dans son arrêt du 13 septembre 2018. Sur un plan plus juridique, il s’agissait de déterminer si une des personnes qui avait « participé » à la conception et à l’évolution du spectacle était ou non co-auteur du spectacle.
Les faits peuvent être résumés ainsi :
- Le 12 octobre 2005, la société PATTE NOIRE, (gérée par madame Noëlle P., coproducteur du spectacle de cette dernière) a signé avec monsieur Marc L. et madame Brigitte R. des contrats de collaboration à l’écriture régissant les modalités pratiques et financières dans lesquelles ces derniers devaient intervenir pour aider madame Noëlle P. à l’écriture de son nouveau spectacle de ‘one man show’.
- Ce spectacle a été présenté dans une première version à Nice, en 2006, pour huit représentations, puis dans une seconde version, également à Nice, en Septembre 2006 dans une nouvelle version réécrite par monsieur Alain S. (également à la mise en scène) avec Madame P..
- Le spectacle ‘MADO FAIT SON SHOW’ dans sa première version a fait l’objet d’un dépôt à la SACD au seul nom de madame P. et dans sa deuxième version, en citant monsieur S. en qualité de coauteur.
Monsieur Marc L. a introduit l’action pour se voir reconnaitre la qualité de co-auteur et obtenir une réparation financière.
Le contrat conclu le 12 octobre 2005 par Marc L. est particulièrement étudié dans l’arrêt. Sans citer in extenso les articles du contrat, il est essentiel de mentionner les principes de ce contrat désigné « collaboration d’écriture » :
- Le contrat donnait mission à Marc L. de participer au travail d’écriture du prochain spectacle de Noëlle P. MADO FAIT SON SHOW, en contrepartie d’une somme forfaitaire de 11.430 € HT
- Le contrat précise que Noëlle P. donnera tous les éléments déjà connus et convenus qui permettront de définir le contenu du spectacle, des indications concernant le genre, la description du sujet, les intentions, la durée, le cadre de l’œuvre, à seule fin que les divers collaborateurs à l’écriture sollicités puissent se faire une idée commune du travail à fournir.
- Il est également précisé que Noëlle P., créatrice du concept et des personnages à toute aptitude, à tous moments, pour prendre toutes ou parties des propositions et d’apporter, par ailleurs, toutes modifications sur ces propositions d’écritures qu’elle jugerait nécessaires
- L’article 3.1 dispose : « Le collaborateur à l’écriture s’engage à ne pas faire valoir la notion de propriété intellectuelle et ne peut à aucun moment et en aucun cas empêcher le spectacle de se jouer»
- Le contrat prévoyait cependant une cession des droits pour le monde entier et pour une durée illimitée et précisait que « le collaborateur à l’écriture sera mentionné sous la forme de « collaboration à l’écriture » notamment sur les affiches et les jaquettes de DVD, uniquement dans le cas où celui-ci aura mené à terme sa collaboration à l’écriture»
- Enfin, l’article 4 énonce que « ce travail de collaboration à l’écriture n’étant en aucun cas un travail de co-écriture, il n’y aura donc pas de droits d’auteur et le collaborateur à l’écriture ne pourra en aucun cas prétendre à une autre forme de rémunération ayant rapport de près ou de loin avec le spectacle. »
Dans les dossiers de revendication de qualité d’auteur, l’analyse des faits est évidemment toujours essentielle car il appartient à celui qui revendique la qualité de co-auteur, lorsqu’elle est contestée, d’apporter « la preuve de [sa] participation effective au processus de création » (Cass. Civ. 1ère, 19 février 2014, N° 12-17935).
Ce qui est particulièrement intéressant dans le raisonnement de la Cour est qu’il se concentre essentiellement sur l’analyse du contrat pour en tirer toutes les conséquences en refusant la qualité d’auteur de Marc L. La Cour précise ainsi qu’il devra démontrer sa participation créative dans l’élaboration du spectacle « contrairement aux termes de son engagement contractuel ».
Selon la Cour, le contrat signé par Marc L. n’a pas à être interprété car il résulte clairement « des termes de la convention qu’il est intervenu dans un cadre contraint , le contenu des textes lui est imposé, la créatrice du concept et des personnages lui donne les indications, le genre, la description du sujet, les intentions, la durée, le cadre de l’œuvre, lui interdisant tout pouvoir de décision et ainsi de manifester sa personnalité et son originalité, madame P. ayant seule l’initiative de la création des personnages, des thèmes, des orientations, et surtout, lui interdisent de s’opposer aux modifications et propositions d’écritures de la créatrice du concept, de sorte que cette atteinte au droit moral, est exclusive d’une reconnaissance de sa qualité d’auteur de cette œuvre. »
La Cour ajoute que « le spectacle n’a jamais été divulgué sous son nom en qualité de co-auteur, le contrat ayant exclu cette terminologie et ayant choisi à dessin celui de ‘collaborateur à l’écriture’ et non de co-auteur. »
Au surplus, la Cour note que cette analyse contractuelle est confirmée dans les faits car les personnes qui ont assisté aux répétitions d’ailleurs ont attesté que le seul décideur était madame P. tant sur le plan conceptuel, artistique que sur le choix des textes dictés par madame P. à monsieur L. qui les saisissait au fur et à mesure sur son ordinateur portable.
Cet arrêt illustre une tendance jurisprudentielle qui confère une sorte de présomption contractuelle lorsqu’un contrat aborde la qualification de l’œuvre ou du rôle des parties (voir pour l’œuvre collective : https://www.village-justice.com/articles/contrat-travail-peut-prevoir-qualification-oeuvre-collective,24128.html). Cette présomption est simple de sorte qu’elle peut toujours être renversée par celui qui invoque la qualité de coauteur mais l’analyse des décisions montre qu’il est souvent difficile d’apporter la preuve contraire de la qualification contractuelle lorsque celle-ci est claire.
En contraste, un arrêt récent de la Cour d’appel de Paris portant sur la revendication de coauteur d’une bible littéraire d’une mini-série rappelle que « la volonté contractuelle des parties est impuissante à modifier les dispositions impératives du Code de la propriété intellectuelle et qu’il appartient à celui qui revendique la qualité d’auteur ou de co-auteur d’apporter la preuve de sa participation originale à l’œuvre revendiquée » (CA Paris, 14 septembre 2018).
Dans cette affaire, il y avait plusieurs contrats confiant au prétendu co-auteur un « travail de co-écriture et de polish » des scenarios. Ce travail de co-écriture pourrait s’analyser a priori comme un travail de co-auteur.
Mais, malgré le titre de cette mission (et la cession de droits prévue au contrat), la Cour, ayant procédé à une analyse factuelle de tous les éléments, en déduit que le prétendu coauteur « a effectué un travail de relecture et de coordination de l’écriture des scénarios litigieux sans pour autant justifier d’un apport créatif et partant de sa qualité d’auteur desdits scenarios ». Il est donc débouté de ses demandes de revendication en tant que co-auteur.
En conclusion, si la qualification contractuelle d’une œuvre ou du rôle de chaque intervenant présente un intérêt certain, l’analyse des faits reste toujours cruciale et prédominera sur la qualification contractuelle. Il est donc important de conserver les preuves de la participation créative effective de chacun en cas d’éventuel contentieux ultérieur.
Jérôme TASSI