Association d’une marque de lingerie à la prostitution : diffamation ou dénigrement ? (CA Versailles, 23 mars 2021)

Tous les juristes ont un jour été confrontés au dilemme de choisir la qualification entre diffamation ou dénigrement. L’arrêt “Maison Close” rendu par la Cour d’appel de Versailles permet de rappeler les principaux critères distinction entre ces deux notions proches (1). La Cour rappelle également que celui qui revendique un droit d’auteur doit expliciter l’originalité de l’œuvre dont il revendique la protection (2). Enfin, la légèreté du demandeur justifie une condamnation pour procédure abusive ce qui est exceptionnel (3).

 

1. Rappels sur la distinction entre diffamation et dénigrement

 

La question présente un enjeu important en matière de prescription:

    • En matière de diffamation, le délai est de 3 mois à compter de la date de la publication litigieuse ou de la mise en ligne en cas de diffamation, sauf pour certains cas spécifiques .( 29 juill. 1881 relative à la liberté de la presse, art. 65.) .

 

  • En matière de dénigrement, le délai de prescription est bien plus long, puisque, à défaut de texte spécifique, c’est le délai de droit commun de 5 ans qui s’applique

 

Procéduralement, la diffamation obéit à un régime spécial prévu par la loi du 29 juillet 1881 et peut être poursuivie au pénal ou au civil.
Dans l’affaire jugée par la Cour d’appel de Versailles le 23 mars 2021, le titulaire de la marque de lingerie MAISON CLOSE reprochait à TF1 PRODUCTION d’avoir reproduit illicitement les modèles de lingerie « MAISON CLOSE » dans un reportage sur les nouvelles formes de prostitution.
La Cour examine le fondement juridique applicable et reconnait que « la ligne de partage entre la diffamation et le dénigrement n’est pas toujours aisée à tracer ».
Elle donne cependant un guide de distinction utile :

  • « Il est certain cependant que, lorsque les faits dénoncés consistent en des imputations précises, notamment lorsque ces faits sont constitutifs d’infractions pénales, visent une personne physique ou morale déterminée et portent atteinte à son honneur et à sa réputation, de telles imputations sont constitutives de diffamation, pas de dénigrement. De même, lorsque le dénigrement d’un produit s’accompagne d’assertions qui mettent en cause l’honneur ou la réputation d’une personne physique ou morale, le délit de diffamation est constitué.

 

  • En revanche, lorsque la cible visée est le produit ou le service commercialisé sur lequel l’auteur veut jeter le discrédit, de telles allégations sont constitutives de dénigrement relevant des dispositions de l’article 1240 du code civil et non de la diffamation. ».

 

En l’espèce, la Cour d’appel retient la qualification de dénigrement éventuel et non de diffamation. Elle ne se prononce pas sur la réalité du dénigrement puisqu’elle relève n’avoir pas pu visionner l’émission litigieuse, seules des captures d’écran étant communiquées.

 

2. Rappels sur l’explicitation de l’originalité par celui qui revendique un droit d’auteur

 

Le titulaire de la marque MAISON CLOSE invoquait également une contrefaçon de droit d’auteur pour la reproduction dans le reportage d’un film publicitaire et de certains produits de la marque. La Cour d’appel rejette ces demandes au motif désormais constant qu’ « il appartient à celui qui revendique la protection des droits d’auteur dont l’existence est contestée de définir et d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue et le juge ne peut suppléer sa carence ».

 

Or, la Cour relève que « la société Lovely Planet se borne à affirmer que le film publicitaire litigieux porte clairement l’empreinte de la personnalité de son auteur sans préciser en quoi l’œuvre revendiquée porte concrètement l’empreinte de sa personnalité, de quelle manière a pu être exprimée, en particulier, la capacité créative de son auteur lors de la réalisation de cette œuvre, donc sans justifier en quoi consiste son originalité qui la distinguerait de tout autre film publicitaire faisant la promotion d’articles de lingerie féminine ‘sexy, glamour et sensuel ». Il en est de même pour les bodys dont la protection est revendiquée.
La lacune procédurale est logiquement sanctionnée par le rejet des demandes.
Il faut rappeler que l’arrêt Cofemel rendu le 12 septembre 2019 par la Cour de Justice précise que pour être protégeable par le droit d’auteur une œuvre doit remplir deux conditions cumulatives :

    • Être originale, c’est-à-dire manifester les choix libres et créatifs de l’auteur

 

  • L’œuvre doit être identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité

 

3. Condamnation exceptionnelle pour procédure abusive

 

A titre reconventionnel, TF1 PRODUCTION sollicitait une condamnation pour procédure abusive. Ces demandes sont très rarement accordées mais c’est le cas ici en raison d’une accumulation de motifs :

    • Des demandes très importantes au titre du préjudice financier (1.000.000 €)
    • La légèreté des demandes : le reportage critiqué n’est pas communiqué ; l’appelante n’a pas justifié « l’originalité de leur œuvre, exigence cependant régulièrement rappelée tant depuis 1970 par la jurisprudence constante de la Cour de cassation que par le premier juge »
    • Les bodys en question ne sont pas identifiables dans le film litigieux
    • l’appelante « a, en particulier, autorisé le ‘Sexodrome’, un sex-shop parisien, situé dans le quartier de Pigalle, quartier qui spontanément ne renvoie pas à l’univers du luxe, à diffuser sur un écran en façade de l’établissement le film publicitaire litigieux dans lequel évolue leurs mannequins portant les articles de lingerie litigieux». La Cour perçoit mal, dans ce contexte, le préjudice invoqué.

 

La condamnation pour procédure abusive reste limitée à 5.000 €.

 

 

Jérôme TASSI
Pôle Propriété Intellectuelle