Professionnels de la vente sur internet : les exceptions au droit de rétractation interprétées de manière stricte par la Cour de justice de l’Union européenne

Le 27 mars 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt qui, par une interprétation restrictive des hypothèses dans lesquelles le droit de rétractation n’est pas applicable, souligne la volonté des magistrats de protéger le consommateur dans l’hypothèse d’un contrat conclu sur internet.

 

En l’espèce, un consommateur allemand avait commandé, sur internet, un matelas revêtu d’un film de protection. Après avoir reçu le bien et descellé celui-ci, il a souhaité exercer son droit de rétractation, et en obtenir le remboursement, ce que le vendeur en ligne lui refusait. Cette demande a été accueillie par le tribunal de 1ère instance et confirmée en appel. Le cybercommerçant a alors formé un recours en révision devant la Cour fédérale de justice allemande qui, avant de se prononcer, a décidé de saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) afin de lui soumettre la question de droit posée par le litige.

 

PROTECTION DU CONSOMMATEUR AYANT CONCLU UN CONTRAT A DISTANCE

La directive 2011/83/UE, transposée en droit français par la loi n°2014-344 du 17 mars 2104 relative à la consommation, prévoit un droit de rétractation de 14 jours au bénéfice des consommateurs ayant conclu un contrat sur internet. Ainsi, en cas de commande d’un produit en ligne, le consommateur dispose de 14 jours à compter de la réception dudit produit, pour le tester et, s’il n’est pas convaincu, le renvoyer au vendeur et s’en faire rembourser prix, et ce sans autre motif que la simple volonté d’exercer son droit de rétractation.

Toutefois, la directive précitée liste un certain nombre d’exceptions au droit de rétractation dont jouissent les consommateurs ayant conclu un contrat en ligne. Parmi ses exceptions, ladite directive dispose que les Etats membres ne peuvent pas prévoir de droit de rétractation pour « la fourniture de biens scellés ne pouvant être renvoyés pour des raisons de protection de la santé ou d’hygiène et qui ont été descellées par le consommateur après la livraison ». C’est de cette exception que se prévalait le cybercommerçant dans l’affaire soumise à la CJUE pour refuser de faire droit à la demande de rétractation du consommateur concernant le matelas acheté en ligne et duquel il avait ôté le film protecteur.

 

PRECISIONS SUR LES EXCEPTIONS AU DROIT DE RETRACTATION A DES FINS DE PROTECTION DE LA SANTE OU D’HYGIENE

La question préjudicielle qui était posée à la CJUE visait à obtenir l’interprétation de cette dernière s’agissant de cette exception relative aux biens descellés ne pouvant donc être renvoyés pour des raisons de protection de la santé ou d’hygiène, et plus précisément concernant l’application de cette exception à la vente d’un matelas en ligne.

La CJUE va justifier l’application du droit de rétractation dans le cas de l’achat à distance d’un matelas qui a été descellé par deux arguments : la nature de l’objet et sa similitude avec un vêtement.

En effet, reprenant les conclusions de l’avocat général, les magistrats soulignent que l’exclusion du droit de rétractation à des fins de protection de la santé ou d’hygiène ne doit jouer que si le bien ne peut plus être commercialisé par la suite. Forts de ce constat, ils précisent que bien qu’un matelas soit en contact direct avec la peau des individus, un marché de l’occasion existe et l’utilisation par plusieurs personnes des matelas dans l’hôtellerie prouve que, même descellé, un matelas reste commercialisable.

Ils ajoutent que, par ailleurs, tout comme un vêtement, si le matelas est simplement essayé et non véritablement utilisé alors le consommateur conserve la jouissance de son droit de rétractation.

Ainsi, par cette décision, la Cour de justice exclut les matelas du champ d’application de la notion de « biens scellés ne pouvant être renvoyés pour des raisons de protection de la santé ou d’hygiène et qui ont été descellés par le consommateur après la livraison » et énonce que, même descellé, un matelas acheté en ligne peut être renvoyé dans le délai de rétractation de 14 jours offert au consommateur (et doit donc faire l’objet d’un remboursement dans les conditions prévues par les textes).

 

LES CONSEQUENCES DE CETTE DECISION EN DROIT FRANÇAIS

Selon le principe d’interprétation conforme, notamment posé par la CJUE dans sa décision Marleasing, dans la mesure du possible, le droit national doit s’interpréter à la lumière des objectifs et finalités des directives telles qu’interprétées par la CJUE. Ainsi, les juges français doivent désormais interpréter l’article L221-28 du code de la consommation, qui transpose en droit français les exceptions au droit de rétractation, à la lumière de la directive telle qu’interprétée par la décision commentée.

Abstraction faite de la question spécifique des matelas, la question que devra donc résoudre tout professionnel, à la lumière de la décision ci-dessus, afin de déterminer s’il peut, pour les produits qu’il vend en ligne, bénéficier de l’exception au droit de rétractation concernant les biens « descellés par le consommateur après la livraison et qui ne peuvent être renvoyés pour des raisons d’hygiène ou de protection de la santé » est la suivante : les produits concernés pourront-ils encore ou non être commercialisés après avoir été descellés et essayés par l’acheteur ?

En tout état de cause, l’application du droit de la consommation à la vente en ligne est complexe et en constante évolution. Il convient donc pour les professionnels de la commercialisation sur internet de rester vigilants et à jour des interprétations qui en sont faites par les instances européennes et nationales afin de s’assurer de la licéité de leurs pratiques de vente en ligne.

 

Pour mémoire, il convient de garder à l’esprit que si le droit de rétractation s’applique principalement aux ventes en ligne à l’attention de consommateurs, il est également applicable aux ventes hors établissements réalisées par des professionnels, à l’attention de consommateurs, mais également à l’attention de professionnels si l’objet du contrat n’entre pas dans le champ de leur activité principale et si ceux-ci emploient cinq salariés ou moins (art. L.221-3 du code de la consommation).

 

 

Par AGIL’IT – Pôle IT, Data protectionTélécoms

Laure LANDES-GRONOWSKI, Avocate associée