Les statuts d’une société priment-ils sur le pacte d’actionnaires en toutes circonstances ?

Dans un arrêt inédit rendu le 5 juin 2019 (n°17-18967), la Chambre commerciale de la Cour de cassation affirme que les statuts de la société priment sur le pacte d’actionnaires lorsqu’ils ont été modifiés après la conclusion du pacte.
La primauté des statuts sur le pacte est-elle un principe trouvant une base légale ? Est-ce qu’une question de chronologie ? Et qu’en est-il de la volonté des parties ?

 

Il a été affirmé, à tort, l’infériorité normative des pactes extra-statutaires face aux statuts.  A ce titre, il existerait en droit des sociétés une hiérarchie des normes dont les statuts constitueraient la norme absolue. La prévalence des statuts sur les pactes tiendrait à leur opposabilité à l’égard de tous [1]. Par conséquent en cas d’incompatibilité entre une clause statutaire et une clause extra-statutaire, cette dernière serait exclue au profit de la première. Mais, cette hiérarchie ne repose sur aucun principe issu du droit des sociétés, ni sur aucun courant jurisprudentiel. Il n’y a aucune prévalence légale ou prétorienne des clauses statutaires.

Les pactes d’actionnaires et les statuts sont des contrats ; ils expriment la volonté des parties d’organiser leurs relations, leur association, sous réserve du respect de l’ordre public et des règles impératives du droit des sociétés.

Par conséquent, les statuts peuvent prévaloir sur le pacte d’actionnaires lorsqu’il existe une disposition légale impérative du Code de commerce réservant un domaine aux statuts [2].

Pour les autres règles d’organisation de la société et des relations entre ses associés, l’articulation entre le pacte d’actionnaires et les statuts n’est pas toujours aisée et reste source de contentieux.

C’est dans cette hypothèse que la Cour de cassation a apporté une réponse.

En l’espèce, les associés fondateurs de la société avaient décidé la transformation de cette dernière de SAS en SA à directoire et conseil de surveillance le 29 juillet 2010 ; ils ont adopté de nouveaux statuts sous cette nouvelle forme sociale. Le même jour, divers investisseurs sont entrés au capital de la société et un pacte d’actionnaires a été signé entre ces investisseurs et les associés fondateurs. Deux des associés fondateurs ont alors été nommés directeurs. Les actionnaires de la société ont fait une nouvelle mise à jour des statuts le 9 décembre 2010.

Le 21 décembre 2012, les membres du conseil de surveillance ont décidé, à la majorité simple conformément aux statuts adoptés le 9 décembre 2010, de révoquer les deux directeurs de la société.

Les directeurs révoqués ont contesté cette décision afin d’en obtenir la nullité, arguant que le pacte d’actionnaires prévoyait une majorité qualifiée au sein du conseil de surveillance et que cette règle devait primer sur les statuts adoptés le 9 décembre 2010.

La Cour d’appel les ayant déboutés, ils ont saisi la Cour de Cassation, laquelle a confirmé la décision au motif que « la décision de révocation [des deux directeurs] prise le 21 décembre 2012 respectait les stipulations statutaires adoptées le 9 décembre 2010, qui constituaient un amendement aux dispositions du pacte d’actionnaires et aux statuts initiaux au sens de l’article 27 du pacte d’actionnaires » [3]

La Cour de Cassation a donc considéré que la dernière version des statuts devait s’appliquer puisqu’elle était postérieure au pacte d’actionnaires ; allant jusqu’à préciser que ces statuts amendaient le pacte d’actionnaires !

 

Faut-il déduire de cet arrêt de la Cour de Cassation que chaque modification postérieure des statuts au pacte d’actionnaires constitue d’office un amendement ?  La Cour de Cassation a-t-elle voulu ouvrir la voie à la prévalence des statuts sur le pacte d’actionnaires ?

Rien n’est moins sûr selon nous, car les magistrats de la Cour de Cassation confirment le raisonnement de la Cour d’appel qui a « recherché comment s’articulait le pacte d’actionnaires et les statuts de la société ».

Il s’agirait d’avantage d’une affaire de chronologie que de hiérarchie. Les statuts remportent le dernier mot non pas en raison de leur qualité intrinsèque mais surtout parce qu’ils ont été adoptés postérieurement au pacte d’actionnaires.

Il nous semble regrettable que tant les juges du fonds que de la haute juridiction n’aient pas davantage recherché la volonté commune des parties afin de trouver un agencement, plus qu’une hiérarchie, excluant toute articulation entre les statuts et le pacte d’actionnaires [4].

Dans l’arrêt du 5 juin 2019, le pacte d’actionnaires prévoyait l’application des dispositions légales, du pacte, des statuts sans anticiper sur les éventuelles contradictions nées de changements futurs.

Cet arrêt est à notre sens un rappel de l’importance fondamentale de coordonner les statuts et le pacte extra-statutaire et d’anticiper les versions successives qui pourraient s’avérer contradictoires (par exemple en convenant dès la signature du pacte qu’il prévaudra sur les statuts ou qu’à chaque modification des statuts, le pacte devra être ajusté, obligeant ainsi à assurer le suivi et la complémentarité de ces deux contrats).

 

Par AGIL’ITPôle Private Equity – M&A – Droit des sociétés

Mathieu SIRAGA, Avocat Associé

Anne DECHAMPS, Avocate

 

[1] Les statuts d’une société s’imposent aux associés de celle-ci et sont opposables aux tiers dès leur publication

[2] Par exemple, les règles de quorum et de majorité des assemblées générales d’actionnaires des SA (sociétés anonymes) – l’article L 225-96 du code de commerce permet aux statuts de fixer un quorum plus élevé.

[3] D’après l’arrêt de la Cour de Cassation : « l’article 27 du pacte d’actionnaires précisait que dans le cadre de la gestion et de l’administration de la société, les parties convenaient d’appliquer les lois en vigueur, les stipulations du pacte, les stipulations des statuts de la société ainsi que les amendements des statuts pouvant être adoptés dans la conduite normale des affaires » :

[4] Une règle fondamentale fixée par l’article 1189 du Code civil sur l’interprétation des contrats : « Toutes les clauses d’un contrat s’interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l’acte tout entier.

Lorsque, dans l’intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s’interprètent en fonction de celle-ci. »