Cession de droits sociaux : la solidarité entre créanciers d’une garantie d’actif et de passif doit toujours être expressément prévue !

Que l’obligation soit de nature civile ou commerciale, la solidarité entre créanciers dite « active » ne se présume pas, comme le rappelle la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation dans son arrêt du 26 septembre 2018.

 

Pour mémoire, la solidarité entre débiteurs (solidarité passive) oblige chacun des débiteurs à toute la dette. Le paiement fait par l’un d’eux libérant tous les autres envers le créancier.

 

Moins souvent évoquée, la solidarité entre créanciers (solidarité active) d’un ou plusieurs mêmes débiteurs permet à chacun des créanciers d’exiger et de recevoir le paiement de la totalité de la créance [1].

 

La décision de la Chambre commerciale du 26 septembre 2018 (n°16-28133) rappelle le principe de non-présomption de la solidarité entre créanciers sur la base des textes antérieurs à la réforme du Code Civil intervenue le 1er octobre 2016, soulevant quelques interrogations sur l’application des nouvelles dispositions légales.

 

Le contexte de l’arrêt était le suivant : une cession de droits sociaux à l’occasion de laquelle les deux associés cédants étaient notamment tenus par une garantie d’actif et de passif.

 

Suite de la violation suspectée de la clause de non-concurrence par les deux associés cédants, deux des trois cessionnaires ont demandé l’exécution de la garantie. Le 3ème cessionnaire est intervenu ultérieurement à l’instance pour demander l’exécution de la garantie, considérant que l’action des deux premiers cessionnaires avait interrompu le délai de forclusion à son profit.

 

La Cour d’Appel de Bordeaux a donné raison au 3ème cessionnaire, considérant qu’il pouvait intervenir en cours d’instance et ce, en s’appuyant non pas sur la solidarité entre les créanciers mais celle des débiteurs [2] !

 

La Chambre Commerciale de la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel en affirmant qu’« alors que la solidarité active ne se présume pas et que les [deux cessionnaires] agissaient en qualité de créanciers, bénéficiaires de la garantie, la cour d’appel a violé l’article 1197 du Code civil » dans sa rédaction antérieure à la réforme de 2016.

 

La Cour d’Appel avait donc fait une analogie entre les créanciers et les débiteurs ; ces derniers étant présumés solidaires en matière commerciale, selon un principe coutumier érigé et repris à plusieurs occasions par la Cour de Cassation avant la réforme du Code Civil [3]. La solidarité passive est, en quelque sorte, encrée dans la pensée commune (contrairement à la solidarité active).

 

Avant la réforme du Code Civil entrée en vigueur le 1er octobre 2016, la solidarité active devait faire l’objet d’une mention expresse dans l’acte [4]. Le nouveau texte indique désormais comme principe général que la solidarité (active ou passive) ne se présume pas [5] ; Lexique différent mais constat identique : Cela va toujours mieux en l’écrivant !

 

Toutefois, nous pouvons nous interroger sur la position à venir de la Cour de Cassation quant à l’application de la nouvelle lettre du Code au regard du principe coutumier pour la solidarité passive [6] ?

 

En tout cas, pour les créanciers d’une garantie d’actif et de passif, l’enjeu est souvent considérable. Car même s’ils n’ont aucun lien juridique ou familial, ils ont des intérêts communs dans l’exécution de la garantie d’actif et de passif qu’ils ont conclu. Ils ne doivent pas oublier que la solidarité est un avantage pour eux, ou à tout le moins, pour le créancier manquant de réactivité !

 

Une piqûre de rappel ne nous semblait pas inutile et il convient toujours, outre la solidarité passive régulièrement visée et négociée dans les contrats de garantie d’actif et de passif, de s’assurer de la volonté des cessionnaires de prévoir (ou non) l’existence d’une solidarité active entre eux. A défaut, le cessionnaire peu réactif et forclos sera logiquement exclu du bénéfice de l’action en garantie contractuelle initiée par un autre cessionnaire plus diligent.

 

Par AGIL’IT Pôle Droit des sociétés – Private Equity – M&A 

Anne DECHAMPS – Avocate

Mathieu SIRAGA – Avocat associé

 

 

 

[1] Article 1311 du Code civil : « La solidarité entre créanciers permet à chacun d’eux d’exiger et de recevoir le paiement de toute la créance. Le paiement fait à l’un d’eux, qui en doit compte aux autres, libère le débiteur à l’égard de tous.

Le débiteur peut payer l’un ou l’autre des créanciers solidaires tant qu’il n’est pas poursuivi par l’un d’eux. »

[2] « Pour autant, c’est à bon droit que les intimés et la société intervenante soutiennent que la convention de garantie bénéficie aux cessionnaires quels qu’ils soient, et que la cession de droits sociaux étant de nature commerciale, s’applique la règle voulant que la solidarité est présumée en matière commerciale si les débiteurs d’une même dette se sont engagés solidairement, ce qui est le cas de MM. Z et Y [les débiteurs de la garantie d’actif et de passif] vis à vis de la société M&M . »

[3] La jurisprudence ayant institué une présomption générale de solidarité en matière commerciale pour les débiteurs dérogatoire de l’ancien article 1202 du Code civil qui stipulait : « La solidarité ne se présume point ; il faut qu’elle soit expressément stipulée. Cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d’une disposition de la loi. »

[4] Ancien article 1197 du Code civil : « L’obligation est solidaire entre plusieurs créanciers lorsque le titre donne expressément à chacun d’eux le droit de demander le paiement du total de la créance, et que le paiement fait à l’un d’eux libère le débiteur, encore que le bénéfice de l’obligation soit partageable et divisible entre les divers créanciers. »

[5] Article 1310 du Code civil « La solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas. »

[6] Article 1313 du Code civil : « La solidarité entre les débiteurs oblige chacun d’eux à toute la dette. Le paiement fait par l’un d’eux les libère tous envers le créancier.

Le créancier peut demander le paiement au débiteur solidaire de son choix. Les poursuites exercées contre l’un des débiteurs solidaires n’empêchent pas le créancier d’en exercer de pareilles contre les autres. »