Deux décisions récentes rendues dans le cadre de demandes, par des professionnels, de suppression de leur fiche Google My Business, viennent apporter un éclairage concernant les dernières orientations de la jurisprudence en matière de légitimité du traitement de données à caractère personnel mis en œuvre dans le cadre de ce “service” et de droit d’opposition.
Par deux ordonnances rendues en référé au mois de juillet 2019, le tribunal de grande instance de Paris (décision du 11 juillet) et le tribunal de grande instance de Metz (décision du 16 juillet) ont notamment rejeté la demande de suppression formulée respectivement par une dentiste et par un psychiatre de la fiche Google My Business les concernant, en procédant à une analyse des conditions de licéité du traitement des données à caractère personnel de ces derniers, en particulier s’agissant du fondement juridique de ce traitement et de la possibilité pour le responsable de traitement de refuser de faire droit à une demande d’opposition de la personne concernée.
Dans ces deux affaires, le tribunal a estimé que Google n’avait pas commis de faute concernant la diffusion des fiches Google My Business en question puisque les données relatives aux demandeurs étaient librement disponibles sur des annuaires professionnels, ce qui n’est pas sans rappeler la position du tribunal de grande instance de Paris dans le cadre d’une ordonnance rendue en référé le 12 avril 2019 s’agissant de la création d’une fiche Google My Business relative à un dentiste sans son autorisation. Si cette interprétation peut être considérée comme surprenante dans la mesure où les textes applicables en matière de protection des données à caractère personnel n’opèrent pas de distinction selon le degré d’accessibilité des données traitées pour apprécier la licéité de leur traitement, il semble toutefois qu’elle devienne constante dans le cadre de ce type de contentieux…
En outre, il a été jugé dans ces décisions que le traitement des données à caractère personnel relatives à la dentiste et au psychiatre était fondé sur l’intérêt légitime résidant dans l’information des consommateurs. Puis, pour justifier le refus de suppression de la fiche Google My Business litigieuse, et ce dans les deux affaires précitées, le tribunal a considéré que malgré le droit d’opposition pour motifs légitimes dont bénéficie toute personne concernée, la suppression de la fiche Google My Business des demandeurs contreviendrait au principe de la liberté d’expression, semblant ainsi considérer que la liberté d’expression constitue un motif “légitime et impérieux” au sens de la règlementation applicable en matière de protection des données permettant de refuser de faire droit à une demande d’exercice, par une personne concernée, de son droit d’opposition au traitement de ces données à caractère personnel [1].
Une fois encore, ces décisions s’inscrivent dans la droite ligne de la position du tribunal de grande instance de Paris dans son ordonnance rendue en référé le 12 avril 2019 précitée.
Enfin, il convient de relever que les demandeurs soulevaient devant les tribunaux l’argument selon lequel le fait de refuser de supprimer leur fiche Google My Business constituait un non-respect de leur droit d’opposition à la prospection commerciale. Or, ce droit d’opposition spécifique ne nécessite pas de démontrer un quelconque motif et ne souffre pas d’exception… A cet égard, si le tribunal de Paris a considéré que “la fiche litigieuse n’est pas en elle-même un message de prospection commerciale, que la dentiste n’établit pas en quoi l’existence de cette fiche répondrait à des fins de prospection, notamment commerciales“, le tribunal de Metz va plus loin en considérant que l’envoi au psychiatre, du fait même de l’existence d’une fiche Google My Business, de publicités pour un service payant Google “ne permet toutefois pas, avec l’évidence requise en référé, de considérer que la publicité adressée démontre la finalité commerciale de la publication de la fiche entreprise qui serait constitutive d’une infraction” en ce que le droit d’opposition du psychiatre au traitement de ses données n’aurait pas été respecté.
Sur ce point, il est à noté que la jurisprudence semble donc avoir évolué par rapport à certaines décisions antérieures (à titre d’exemple, dans une ordonnance rendue en référé en date du 6 avril 2018 portant sur des faits similaires, le tribunal de grande instance de Paris a pu considérer que le traitement mis en œuvre par Google dans le cadre du “service” Google My Business a pour finalité la prospection commerciale dans la mesure où l’utilisation de cette fiche par Google lui permet d’adresser à la personne concernée des emails publicitaires leur proposant de souscrire aux services Google AdWords afin d’améliorer la performance de la diffusion de sa fiche ; ainsi, le tribunal a considéré qu’en continuant de diffuser la fiche Google My Business d’un chirurgien dentiste alors que celui-ci en avait demandé la suppression, Google a commis une infraction résidant dans le fait de ne pas avoir fait droit à sa demande d’opposition, ce qui constitue un trouble manifestement illicite donnant lieu à référé).
En résumé : il résulte de ces décisions qu’en matière de publications sur internet, en particulier s’agissant de fonctionnalités ou de services permettant aux internautes de donner leur avis en ligne sur des professionnels, le droit de la protection des données à caractère personnel apparaît comme devoir être mis en balance avec la liberté d’expression et que les magistrats saisis de demandes de professionnels visant à la suppression de ces publications (ou avis) semblent, au regard de la tendance actuelle, privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt qu’ils considèrent comme étant le plus légitime (en l’occurrence, celui du public à être informé), a minima en référé.
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Au regard des illustrations jurisprudentielles présentées ci-dessus, et bien qu’il s’agisse de décisions rendues “en référé”, ce dont il résulte qu’elles ne préjugent pas en principe de ce qui pourrait être décidé par les magistrats dans le cadre d’une instance “au fond”, il semble que la réglementation applicable en matière de protection des données à caractère personnel n’apparaît pas comme un argument fort dans les cadre des actions contentieuses visant à la suppression de fiches Google My Business et des avis des internautes qui y sont rattachés. Néanmoins, dans les affaires précitées, il convient de relever que l’absence d’information des professionnels concernés s’agissant du traitement de leurs données par Google n’a pas été soulevée, alors même que le droit à l’information des personnes concernées figure parmi les principes fondamentaux applicables en matière de protection des données à caractère personnel,…. Un tel argument pourrait donc à l’avenir, sous réserve qu’une telle information ne soit pas délivrée aux personnes concernées, être envisagé afin de faire valoir le non-respect, pas Google, de ses obligations en matière de protection des donnée à caractère personnel et de demander la suppression des fiches Google My Business litigieuses.
En outre, il est toujours possible d’envisager de fonder l’action du professionnel concerné sur le terrains des infractions de presse (notamment, en arguant d’une diffamation par exemple) afin que soient supprimés les avis “litigieux” de sa fiche Google My Business. Néanmoins, invoquer de telles infractions ne peut permettre d’aboutir à un retrait des commentaires concernés que sous réserve de pouvoir démontrer que leurs éléments constitutifs, interprétés de manière stricte, sont intégralement réunis. En outre, les actions engagées sur ce fondement obéissent à un régime procédural dérogatoire et à un cadre strict qui nécessitent, en amont de toute procédure contentieuse, de s’assurer auprès de professionnels qualifiés et experts en ce domaine de la réunion des conditions nécessaires à faire prospérer une telle action.
Par AGIL’IT – Pôle IT, Télécoms & Data protection
Laure LANDES-GRONOWSKI, Avocate associée
Marie MILIOTIS, Avocate
[1] Il est à noter que, contrairement à ce qui est prévu par les textes s’agissant du droit à l’effacement des données dont bénéficient également sous certaines conditions toute personne concernée par un traitement de données à caractère personnel, le fait que le traitement soit nécessaire à l’exercice du droit à la liberté d’expression ne constitue pas une exception expressément citée dans les dispositions législatives ou réglementaires relatives au droit d’opposition. Toutefois, la décision du juge dans cette affaire, sans se prononcer a priori sur le terrain du droit à l’effacement (et ce alors même que la personne concernée demandait la “suppression” de certaines informations), revient à “transposer” cette exception du droit à la liberté d’expression à l’exercice du droit d’opposition.