NFT et blockchain – Interview de Laure Landes-Gronowski, notre associée IT & Data, pour Usbek&Rica

Usbek & Rica, 16 février 2022 – Interview de notre associée, Laure LANDES-GRONOWSKI (pôle IT & Data protection), dans le cadre de l’enquête menée par Emilie Echaroux, journaliste pour Usbek & Rica, et intitulée “NFT : le rêve dépassé d’une blockchain féministe et inclusive”.

 

 

Introduction

En juin 2021, Usbek & Rica menait l’enquête pour savoir si les NFT ne permettraient pas aux femmes de se réapproprier leur corps et leur image. Huit mois plus tard, le constat est amer. Entre vol de photos pour en faire des objets numériques à caractère pornographique, vol d’art et harcèlement, les NFT sont au cœur de diverses polémiques. Enquête.

 

 

Extraits

 

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Les influenceurs et le vol d’identité

Les vols d’identité sur les places de marché des NFTs ont pris de l’ampleur courant janvier, après que plusieurs YouTubeurs ont vu leur photo, leur chaîne et leur logo repris sans leur consentement sur la plateforme d’OpenSea. The Gamer rapporte qu’un utilisateur appelé « StakeTheWeb » a vendu des NFTs composés d’images à l’effigie d’influenceurs, incluant le lien de leur compte. Les YouTubers Stephanie Sterling et Caddicarus ont été parmi les premiers à le remarquer. « Franchement, je ne suis pas surprise qu’une sangsue profiteuse ait transformé ma chaîne en NFT […] Je n’ai pas consenti à cela, je ne veux pas de cela, et cela démontre tout ce que j’ai dit sur le fait que ce marché est irrespectueux et exploiteur », a commenté Stephanie Sterling sur son compte Twitter.

Bien que cette collection semble avoir été retirée par OpenSea, un autre compte en a repris le concept. De la chaîne YouTube du Grand JD, à une recette de poulet katsu publiée sur le site All recipes, en passant par un GIF de Wall-E, « MarbleCards » a repris à son compte plus de 243 000 liens pour en faire des NFTs. « Chaque page web unique peut être frappée et encadrée dans une carte de marbre, mais une seule fois et par une seule personne », se vante le créateur du compte dans sa biographie sur OpenSea.

Parmi les cartes vendues, deux portent le nom de l’influenceuse aux 19,9 millions d’abonnés sur YouTube, Jenna Marbles. Dans les deux cas, la photo d’une jeune femme dénudée est utilisée. S’il est difficile de déterminer la provenance de ces images ainsi que la réelle identité de la personne qui y figure – l’agent de l’influenceuse n’ayant pas répondu à notre demande d’interview –, il n’en reste pas moins que le créateur du compte « MarbleCards » l’a estampillé du nom de la star américaine.

Ce n’est pas le seul cas de sexualisation d’images de femmes que l’on peut retrouver sur la plateforme d’OpenSea. Le compte « Adult Erotic Arts », aujourd’hui supprimé, a photoshoppé de nombreuses photos de célébrités pour les intégrer à des pages fictives de magazines pornographiques, selon le média The Gamer. Pourtant, « utiliser l’image d’une personne pour en faire un montage à caractère pornographique, c’est un délit qui peut faire l’objet de poursuites pénales, entraînant jusqu’à 15 000 euros d’amende et un an de prison  », explique Laure Landes-Gronowski, experte en droit des technologies de l’information et des données à caractère personnel. « Dans certaines hypothèses, on pourrait même parler d’usurpation d’identité  », ajoute l’avocate.

 

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Les femmes, premières victimes du vol d’art

Autre pratique illégale, elle, devenue monnaie courante sur les plateformes de vente de NFTs : le vol d’art. 80 % des jetons non-fongibles créés gratuitement sur la plus grande place de marché d’objets numériques, OpenSea, sont des œuvres plagiées, des fraudes ou des spams. Ce chiffre a été révélé par la plateforme elle-même dans un tweet publié le 28 janvier dernier. OpenSea venait tout juste d’annoncer qu’elle limiterait à cinquante le nombre de NFT qu’un utilisateur pourrait créer gratuitement sur la plateforme en utilisant un outil populaire : le « lazy minting ». Ce dernier permet de ne pas payer de frais de services de blockchain au moment de créer un « jeton non-fongible » sur OpenSea – une option attrayante pour les artistes qui n’ont pas assez de fonds pour financer le processus de création de leurs NFT.

Mais il permet aussi de produire rapidement des œuvres plagiées – un phénomène que la plateforme cherche à réguler. «  Aujourd’hui, il n’y a pas de réglementation juridique applicable aux NFT, nous explique Laure Landes-Gronowski. En revanche, le régime juridique qui leur est appliqué dépend des droits attachés aux NFT par leur émetteur  ». En somme, si une copie d’une œuvre, même numérique, est créée, le régime de contrefaçon peut lui être appliqué.

 

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Modération en ligne : après les réseaux sociaux et Spotify, au tour des plateformes de vente de NFT ?

[…] Au regard de la loi, OpenSea n’est pas tenu d’exercer une surveillance générale sur ce qui est posté sur son site. « En qualité d’hébergeur, une plateforme n’a pas forcément une obligation de surveillance totale sur tout le contenu qui est publié et vendu. Mais, ce qui est sûr, c’est que, si l’hébergeur se voit notifier un contenu manifestement illicite, il devrait le retirer  », explique Laure Landes-Gronowski.

 

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Le mirage d’une blockchain inclusive et féministe

Pour Laure Landes-Gronowski, ce n’est pas tant la blockchain qu’il faut critiquer mais l’usage qui en est fait. «  Bien sûr, la blockchain est par essence décentralisée et non-contrôlée. Cet aspect crée une insécurité complémentaire, concède-t-elle. Mais, pour moi, ce n’est pas cette technologie en tant que telle qui un problème mais son utilisation sans droit par des personnes malintentionnées  ». Et de conclure : «  C’est la même chose que pour les réseaux sociaux. Cet outil n’est pas mauvais en soi. Il présente même de nombreux avantages. Mais c’est sa mauvaise utilisation qui peut faire des dégâts  ».

L’article “NFT: le rêve dépassé d’une blockchain féministe et inclusive” est accessible dans son intégralité en cliquant ici.

 

 

Par AGIL’IT – Pôle IT & Data protection

Laure LANDES-GRONOWSKI, Avocate associée