Coemploi : maintien et restriction de sa mise en œuvre

Dans sa décision du 25 novembre 2020 (1), la chambre sociale de la cour de cassation, sans abandonner définitivement la notion de coemploi, est venue rappeler son caractère exceptionnel. Et ce, en offrant une nouvelle définition des éléments qui le constitue, à savoir, l’immixtion permanente de la société-mère dans la gestion économique et sociale et la perte totale d’autonomie d’action de la filiale.

En l’espèce, une filiale d’un groupe de sociétés a été placée en liquidation judiciaire. Les salariés licenciés ont invoqué la qualité de coemployeur de la société mère afin d’obtenir le paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La cour d’appel leur a donné gain de cause en retenant l’existence du coemploi.

La cour de cassation, par suite de cette décision sur le fond, est venue restreindre et expliciter davantage les critères du coemploi et en a par conséquent déduit que les éléments relevés par la cour d’appel « ne pouvaient suffire à caractériser une situation de coemploi ».

 

L’abandon du critère de triple confusion d’intérêts, d’activités et de direction

La Cour de cassation rappelle, dans un premier temps, sa jurisprudence antérieure énonçant que « hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un coemployeur, à l’égard du personnel employé par une autre, que s’il existe entre elles une confusion d’intérêts, d’activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière » (Cass. soc., 2 juillet 2014, nº 13-15.208 PB dit « Molex ») (2).

La Haute juridiction observe toutefois, dans la note jointe à l’arrêt du 25 novembre, que le critère de la triple confusion d’intérêts, d’activités et de direction issu de cette jurisprudence « Molex » ne permet « plus de circonscrire avec la rigueur nécessaire des situations qui doivent rester dans le domaine de l’exception ».

La Cour de cassation constate également que le contentieux qui lui a été soumis au cours des quatre dernières années « témoigne de la difficulté persistante des juges du fond à appréhender les critères définis par la chambre sociale et, dès lors, à caractériser l’existence ou non d’une situation de coemploi ».

Elle en conclut, dans sa décision, qu’« il apparaît nécessaire eu égard à l’évolution du contentieux de préciser les critères applicables en la matière ».

 

Les nouveaux critères du coemploi

L’arrêt du 25 novembre abandonne ainsi le critère de la triple confusion au profit d’une nouvelle définition du coemploi, fondée sur l’« immixtion permanente de [la société mère] dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière ».

Comme le précise la note jointe à l’arrêt, cette nouvelle définition, plus explicite et, surtout, plus restrictive, est « recentrée sur la caractérisation de la situation objective de la société employeur ».

C’est au regard de ces nouveaux critères que la chambre sociale a donc constaté qu’en l’espèce, les éléments relevés par la cour d’appel « ne pouvaient suffire à caractériser une situation de coemploi ».

 

La responsabilité extracontractuelle : une alternative limitée nécessitant le maintien du coemploi

Pour que les salariés licenciés par une filiale puissent atteindre la société-mère par un autre biais que le coemploi, et obtenir de dommages-intérêts dus au titre de la perte de leur emploi, la chambre sociale permet de mettre en jeu la responsabilité civile délictuelle de cette société (article 1240 du code civil) (3), au titre de ses décisions fautives (Cass. Soc., 24 mai 2018, nºs16-18.621) (4).

La note explicative accompagnant l’arrêt du 25 novembre, précise les raisons du maintien de la notion de coemploi malgré la réticence de la Cour à en reconnaître l’existence en pratique.

D’une part, la voie procédurale de la responsabilité extracontractuelle de la société mère « suppose l’engagement d’une procédure distincte devant le tribunal de grande instance [tribunal judiciaire], le conseil de prud’hommes étant alors incompétent pour connaître d’une telle action, en l’absence de contrat de travail entre les salariés et la société mère du groupe (Cass. soc., 13 juin 2018, n° 16-25.873 à 16-25.883) (5) ».

D’autre part, « la déconfiture de la société mère entraîne l’arrêt des poursuites individuelles contre cette dernière et l’irrecevabilité de l’action engagée par les salariés après l’ouverture de la procédure collective sur le fondement de sa responsabilité extracontractuelle (Cass. soc., 24 mai 2018, n° 17-15.630 et s.) (6) ».

Ces éléments « ainsi que l’impératif de sécurité juridique », ont ainsi amené la Cour de cassation à opter pour une redéfinition du coemploi plutôt que pour une suppression pure et simple.

 

L’équipes du pôle “Droit social” d’Agil’IT se tient à votre disposition pour vous accompagner dans ce cadre.

 

 

(1) Cour de cassation, Chambre sociale, Arrêt nº 1120 du 25 novembre 2020, Pourvoi nº 18-13.769: https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/1120_25_45973.html

(2) https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000029194325/

(3) https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032041571/

(4) https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000036980384

(5) https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000037098235

(6) https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000036980386/

 

Par AGIL’IT – Pôle Droit social 

Sandrine HENRION, Avocate associée