Ces dernières semaines ont vu les magistrats apporter des précisions opportunes sur les notions de professionnel et de consommateur dans le secteur des sites internet et du e-commerce, en raison de l’arrêt du 12 septembre de la première chambre civile de la Cour de cassation et l’arrêt du 4 octobre de la Cour de justice de l’Union européenne.
Le contrat de réalisation du site internet d’un professionnel : un contrat pouvant être placé sous le régime protecteur du droit de la consommation lorsqu’il est conclu hors établissement
La première affaire est née à l’occasion de la réalisation d’un site internet professionnel. Un architecte, souhaitant donner plus de visibilité à son activité, avait sélectionné un prestataire afin de mener à bien ce projet de communication. Plus de quarante jours après, l’architecte faisait valoir son droit de rétractation et refusait de verser au prestataire les sommes demandées. Les juges saisis de ce dossier ont penché en faveur de l’architecte en justifiant leur décision comme suit :
– d’une part, la relation contractuelle bénéficiait en l’espèce du régime protecteur du droit de la consommation. En effet, le contrat de développement de site web ayant été conclu hors établissement, les magistrats ont appliqué l’ancien article L.121-16-1 du Code de la consommation, désormais L.221-3 du même Code, qui prévoit deux conditions cumulatives afin que le professionnel contractant puisse bénéficier des dispositions protectrices du droit de la consommation pour ce type de contrat, à savoir : « que l’objet de ces contrats n’entre pas dans le champ de l’activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq. »
– d’autre part le droit de rétractation n’ayant pas été mentionné par le prestataire dans le cadre des informations précontractuelles et contractuelles, il pouvait toujours être exercé.
En considérant que la réalisation d’un site professionnel n’entre pas dans le champ d’activité principale de l’architecte, la Cour de cassation vient ainsi préciser les contours de cette notion. Dès lors, un professionnel libéral ou un artisan cherchant à augmenter la visibilité de son activité grâce aux supports de communication élaborés par un prestataire pourrait être considéré comme agissant en dehors du champ de son activité principale, et donc se voir appliquer le régime protecteur du droit de la consommation lorsque le contrat avec le prestataire est conclu hors établissement.
Cette décision de la Cour de cassation doit être l’occasion, pour les professionnels du web, de revoir leurs conditions générales ou autres clauses contractuelles à l’attention de leurs clients professionnels placés dans une telle situation : une information plus détaillée, l’insertion de clauses plus protectrices,… En termes de contract management, cette décision rappelle qu’il est nécessaire d’ajuster les documents contractuels à chaque situation et de disposer de divers types de contrats, en fonction notamment des modalités de contractualisation (en présentiel, hors établissement, à distance) ou encore en fonction de la qualité du cocontractant (consommateur, non professionnel, professionnel ou encore professionnel mais n’agissant pas dans le cadre de son activité principale).
Le contrat de vente à distance via une marketplace entre deux personnes physiques : un contrat en dehors du régime protecteur du droit de la consommation
La seconde affaire concerne la vente d’une montre sur une plateforme de commerce électronique permettant à de nombreuses personnes de mettre leurs biens en vente. Neuf annonces avaient été publiées par la même personne physique, incluant ladite montre. Cette dernière trouve acquéreur mais se révèle différente de la description qui en était faite par le vendeur qui, de surcroît, dénie le droit de rétractation audit acquéreur.
Dans son arrêt, la Cour de justice de l’Union européenne estime « qu’une personne physique, qui publie sur un site Internet, simultanément, un certain nombre d’annonces offrant à la vente des biens neufs et d’occasion, […], ne saurait être qualifiée de « professionnel » […] que si cette personne agit à des fins qui entrent dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ».
Outre cette heureuse nouvelle pour les habitués des marketplaces, la décision de Cour européenne est riche d’enseignements concernant la qualification d’un vendeur en ligne. En effet, après avoir rappelé que la qualité de professionnel ou non doit s’analyser au cas par cas, les magistrats listent un faisceau d’indices permettant de qualifier de professionnel un vendeur en ligne : est-ce que la vente est réalisée de manière organisée ? a-t-elle un but lucratif ? le vendeur dispose-t-il d’informations et de compétences techniques relatives aux produits qu’il propose à la vente dont le consommateur ne dispose pas nécessairement et qui le placeraient dans une position plus avantageuse par rapport audit consommateur ? le vendeur a-t-il un statut juridique qui lui permet de réaliser des actes de commerce ? dans quelle mesure la vente en ligne est liée à l’activité commerciale ou professionnelle du vendeur ? le vendeur est-il assujetti à la TVA ? le vendeur achète-t-il des biens nouveaux ou d’occasion en vue de les revendre, conférant ainsi à cette activité un caractère de régularité, une fréquence et/ou une simultanéité par rapport à son activité commerciale ou professionnelle ? les produits en vente sont-ils tous du même type ou de la même valeur, en particulier, l’offre est-elle concentrée sur un nombre restreint de produits ?
C’est à l’analyse de ces critères, non exhaustifs, que doivent s’attacher les vendeurs en ligne afin de déterminer la qualification qui pourrait leur être opposée. Et les conséquences ne sont pas des moindres, une qualification de professionnel nécessitant de porter à la connaissance des consommateurs un certain nombre d’informations précontractuelles obligatoires (cf. dans la fiche de présentation du produit en ligne par exemple) et de tenir compte des droits des consommateurs dans les documents contractuels (cf. conditions générales de vente par exemple).
Par AGIL’IT – Pôle IT & Data protection
Laure Landes-Gronowski, Avocate associée