Les messages envoyés par le biais d’une messagerie privée installée sur l’ordinateur professionnel sont couverts par le secret des correspondances

Les messages électroniques auxquels l’employeur a eu accès et sur lesquels il a fondé le licenciement provenaient d’une boîte aux lettres électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle utilisée par la salariée. La Chambre sociale de la Cour de cassation, par un arrêt du 23 octobre 2019, a conclu que les messages litigieux étaient couverts par le secret des correspondances et constituaient des modes de preuve illicites insusceptibles de justifier le licenciement de la salariée.

 

 

La loyauté de la preuve et le respect des droits des salariés

Le principe de loyauté dans l’administration de la preuve a été consacré par l’assemblée plénière de la Cour de cassation le 7 janvier 2011 (n° 09-14.316 et n° 09-14.667) celle-ci ayant jugé irrecevable « l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos », au visa de l’article 9 du Code de procédure civile et de l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ce principe rend notamment irrecevable les procédés clandestins de surveillance et requiert de la part de l’employeur une information (du salarié et, information et consultation du comité social et économique) sur les procédés de surveillance mis en œuvre au sein de l’entreprise.

La preuve peut toutefois être valable lorsqu’elle résulte de l’utilisation des procédés connus par les salariés, ainsi la cour de cassation a également estimé que « ne constitue pas un mode de preuve illicite la production par l’employeur des relevés de facturation téléphonique qui lui ont été adressés par la société France Télécom pour le règlement des communications correspondant au poste du salarié » (Cass. soc., 11 mars 1998, n° 96-40.147)

 

La présomption de caractère professionnel

La jurisprudence conclue régulièrement que tous les outils mis à la disposition du salarié sont présumés avoir un caractère professionnel et peuvent donc être consultés par l’employeur en l’absence du salarié. Ainsi la cour de cassation a pu statuer que :

    • « les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail sont présumés, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur peut y avoir accès hors sa présence » ( soc., 18 oct. 2006, n° 04-48.025) :
    • « les courriers figurant sur la boîte électronique professionnelle du salarié ne portaient aucune mention comme étant personnels, (…), ils pouvaient être régulièrement ouverts par l’employeur » ( soc., 15 déc. 2010, n° 08-42.486).
    • « les correspondances adressées ou reçues par le salarié [en papier] sur le lieu de son travail sont présumées avoir un caractère professionnel, en sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir en dehors de la présence de l’intéressé, sauf si elles sont identifiées comme étant personnelles » ( soc., 11 juill. 2012, n° 11-22.972) ;
    • « les messages écrits (“short message service” ou SMS) envoyés ou reçus par le salarié au moyen du téléphone mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, en sorte que l’employeur est en droit de les consulter en dehors de la présence de l’intéressé, sauf s’ils sont identifiés comme étant personnels » ( com., 10 févr. 2015, n° 13-14.779)

Toutefois, la présomption de caractère professionnel posée par la Cour de cassation n’est pas irréfragable. Le salarié qui souhaite soustraire certains éléments au contrôle de l’employeur doit les identifier comme ayant un caractère « personnel ». Ainsi, « sauf risque ou événement particulier, l’employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur de l’ordinateur mis à sa disposition qu’en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé » (Cass. soc., 17 mai 2005, n° 03-40.017)

 

 

Les messages électroniques envoyés par le salarié au moyen d’une messagerie instantanée distincte de sa messagerie professionnelle sont couverts par le secret des correspondances

Dans cette affaire, un employeur a souhaité accéder à l’ordinateur professionnel de sa secrétaire alors que celle-ci se trouve absente. Se rendant compte que l’ordinateur est verrouillé, il appelle sa secrétaire pour lui demander son mot de passe. Celle-ci refuse dans un premier temps de le lui communiquer, puis cède après réception d’un courrier recommandé de son employeur réitérant sa demande.

L’employeur accède alors à l’ordinateur professionnel de sa secrétaire et y découvre de nombreuses conversations avec une autre salariée de l’entreprise, effectuées par le biais du logiciel MSN Messenger. Il découvre notamment que sa salariée a transmis à sa collègue une grande quantité de documents confidentiels, et la licencie pour faute grave.

 

La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 28 septembre 2017, avait estimé que le licenciement de la secrétaire était abusif, dans la mesure où les conversations litigieuses se trouvaient protégées par le secret des correspondances.

La cour a notamment rappelé que « le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ».

Pour apprécier le caractère privé de cette messagerie, la cour d’appel se fonde notamment sur l’évidence et affirme qu’« un tel compte de messagerie est personnel et distinct de la messagerie professionnelle, sans qu’il soit besoin d’une mention “personnel” ou encore “conversation personnelle”. Cette appréciation relève également des faits d’espèce, l’employeur ayant indiqué dans sa lettre de licenciement qu’il a trouvé dans cette messagerie “des éléments personnels de [la vie privée du salarié] […], qui sont totalement étrangers au fonctionnement de l’entreprise ».

La production en justice par l’employeur de messages électroniques provenant de la messagerie personnelle du salarié, distincte de la messagerie professionnelle dont il dispose pour les besoins de son activité, doit être écartée en ce qu’elle porte atteinte au secret des correspondances.

La cour d’appel conclu alors que « l’employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale (le secret des correspondances) prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur ».

 

L’employeur s’est cependant pourvu en cassation, estimant que le raisonnement suivi par la cour d’appel de Paris « emportait renversement de la présomption de caractère professionnel des messages échangés à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour accomplir ses fonctions ».

La Cour de cassation a toutefois rejeté le pourvoi de l’employeur et a confirmé la décision de la cour d’appel : « Ayant constaté que les messages électroniques litigieux, échangés au moyen d’une messagerie instantanée, provenaient d’une boîte à lettre électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle dont la salariée disposait pour les besoins de son activité, la cour d’appel en a exactement déduit qu’ils étaient couverts par le secret des correspondances ».

L’arrêt confirme la position de la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne) dans l’arrêt Barbulescu (CEDH, gr. ch., 5 sept. 2017, n° 61496/08) qui avait, dans des circonstances similaires d’échanges via la messagerie instantanée, conclu à la violation de la vie privée et des correspondances par l’employeur qui contrôlait ces échanges.

 

 

La charte informatique

Une entreprise peut mettre en place une charte afin de réglementer l’utilisation des outils informatiques mis à la disposition des salariés. Ces règles peuvent notamment concerner l’usage d’internet au travail ou de la messagerie professionnelle, ou réglementer l’installation de logiciels tiers ou non autorisés par le service informatique ou la DSI (direction des systèmes d’information) sur les outils informatiques fournis par l’entreprise aux salariés pour l’accomplissement de leurs missions.

La charte informatique est généralement annexée au règlement intérieur afin d’en assurer l’opposabilité aux salariés. La violation de la charte informatique peut alors permettre d’établir une faute permettant à l’employeur de prendre la sanction appropriée. L’usage abusif des outils de travail pourrait, par exemple, et dans certaines conditions, justifier le licenciement d’un salarié.

 

 

Par AGIL’IT – Pôle IT, Télécoms & Data protection
Sylvie JONAS, Avocate associée
Morgane BOURMAULT, Avocate