Les décisions en propriété intellectuelle relevées par Jérôme TASSI en novembre 2018

 

Cas d’école : 5 ou V, chiffre romain ou chiffre arabe ? (EUIPO, 20 novembre 2018, B 2 999 932)

 

Affaire originale traitée en opposition par l’EUIPO. Le titulaire d’une marque 5 au sein d’un cercle s’opposait à une marque V au sein d’un cercle pour des produits identiques en classes 29 et 43.
 

La division d’opposition conclut à l’absence de risque de confusion en écartant la compréhension par le consommateur de l’alphabet romain :
 

“albeit that a non-negligible part of the public in the territory understands Roman numerals, the rule throughout the territory to represent a numeral, is to use the Arabic and not the Roman numeral system. [… ] As the use of Roman numerals is only occasional, when confronted with the element ‘V’ only, without any additional Roman numeral or any other indication that would help consumers to automatically understand that they are facing a Roman numeral, the part of the public of the relevant territory using Latin and Cyrillic alphabet will rather intuitively recognize the letter ‘V’, in Latin script, to which they are used, or at least familiar with in the case of the part of the public that uses Cyrillic alphabet.
 

 
5 contre V
 

Absence d’usage à titre de marque : « Le mois Crazy » ne contrefait pas la marque CRAZY (TGI Paris, 19 octobre 2018)

 

La société exploitant le CRAZY HORSE est titulaire des marques CRAZY et CRAZY HORSE. Elle attaquait en contrefaçon les cuisines SCHMIDT pour une opération commerciale « Le mois Crazy ».
Le Tribunal conclut à l’absence de contrefaçon car le terme CRAZY n’est pas utilisé à titre de marque :
 

« L’usage du terme CRAZY revient à l’utiliser comme adjectif dans un slogan “LE MOIS CRAZY” pour qualifier l’opération commerciale. Cependant sur le support commercial litigieux, l’utilisation du signe CRAZY n’est pas liée à l’offre de produits ou services identiques à ceux couverts par la marque invoquée. Elle n’a pas vocation à donner des indications sur l’origine et la garantie des produits.
 

Il s’en déduit que la société Schmidt Groupe a utilisé le terme “CRAZY” afin de mettre en valeur le caractère attractif du prix dans le cadre de sa campagne publicitaire à titre d’accroche mais n’a pas fait usage du signe à titre de marque.
 

Au vu de l’ensemble de ces éléments, la marque n’est pas reproduite et la contrefaçon par reproduction de la marque n’est pas caractérisée, en l’absence d’usage à titre de marque. »

 

 Crazy-Horse-Q-RVB
 

 
Pas de nouveauté pour le crocodile (EUIPO, 13/11/2018, 102 759)
 

Une décision peut m’intéresser par son apport intellectuel ou par son côté décalé.
 

Ici, l’image m’a plus amusé que la solution : le modèle est annulé pour défaut de nouveauté par rapport à de nombreux déguisements antérieurs.
 

Pour la forme, notons quand même un intérêt juridique (qui ne surprendra pas les habitués de l’EUIPO) : les antériorités sont toutes des pages Web et la date retenue est celle marquée sur Amazon comme première date de publication du produit.

 

Image crocodile
 

ARGUS : subtile distinction entre usage à titre de cote et à titre de marque (CA Paris, 23 octobre 2018)

 
 

La société titulaire de la marque ARGUS reprochait au site lacentrale.fr une contrefaçon de marque  en présentant ses services ainsi : ‘argus gratuit’, ‘calculez la cote et l’argus occasion de votre voiture gratuitement’, ‘l’argus gratuit proposé par La Centrale’, ‘des millions d’acheteurs chaque mois consultent les argus de nos différentes marques’, ‘afin de compléter notre argus,…’.
 

Ayant analysé la signification du terme ARGUS dans les dictionnaires et les usages sur Internet, la Cour juge que « le terme ‘argus’ est couramment utilisé pour désigner une cotation, et la société X revendique n’avoir utilisé le signe ‘argus’ que dans son sens de ‘cote’, et non en tant que marque ».
 

Elle rejette donc l’interdiction provisoire car il est fait usage « du signe ‘argus’ au sens de cote et désigne un service de cotation de la valeur des véhicules et le public concerné, soit celui cherchant à acquérir ou à vendre un véhicule automobile et désireux de connaître la valeur du modèle envisagé, comprendra cet usage comme désignant un service de cotation auquel il a recours, et non comme une référence aux marques dont la société Y est titulaire. »

 

Image ARGUS
 

Le Règlement sur les Marques de l’UE protège les bonnes mœurs et non la pudeur (EUIPO, 24 octobre 2018)

 

Une société suisse avait déposé la marque VITUS pour des « Appareils auditifs et instruments auditifs ainsi que leur composants; accessoires pour appareils auditifs ».

 

Probablement à la grande surprise du déposant, la marque est refusée par l’examinateur car « Le mot « VITUS », forme déclinée du mot « VITT », signifie « dans la chatte » en estonien ».

 

La chambre de recours admet au contraire la marque car la position de l’examinateur n’est « qu’un exemple d’une « pudeur » excessive de la part des examinateurs. Force est de souligner que l’article 7 (1) (f) du RMUE protège les bonnes moeurs et non la « pudeur ». Selon la chambre, « le mot « VITUS » est une expression complétement normale et « innocente ». Elle désigne un Saint de l’église catholique, qui ne pourrait être rapproché de donner lieu à des incitations vulgaires » ou « obscènes », et elle désigne un nom propre relativement commun dans différentes parties de l’Europe. Sachant l’Estonie faisait partie de l’empire russe, l’expression « VITUS » devrait plutôt être associée avec le découvreur russe d’origine danoise Vitus Bering, qui a recherché la région entre Kamtchatka et Alaska. »