UBERISATION : La reconnaissance d’un contrat de travail entre un coursier et une plateforme en ligne

Face à l’expansion des plateformes en ligne comme Uber, Deliveroo et aux difficultés de qualification juridique des relations contractuelles qui en découlent, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a pris position concernant le contrat liant un coursier et une plateforme en ligne (n°17-20.079).

 

En l’espèce, un coursier avait saisi la juridiction prud’homale afin que soit reconnu l’existence d’un contrat de travail entre lui et la plateforme Take It Easy.

Entre-temps, la plateforme en ligne a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 30 août 2016. Ce dernier avait alors demandé que soit inscrit au passif de la liquidation ses demandes en paiement des courses effectuées.

Le liquidateur avait refusé cette inscription au motif que le coursier n’était pas salarié de la société.

Puis, le Conseil de prud’hommes comme la Cour d’appel de Paris ont rejeté la demande du coursier au motif qu’un lien de subordination ne pouvait être reconnu du fait de la libre détermination de ses plages horaires de travail et de l’absence de clause d’exclusivité ou de non-concurrence.

 

L’existence d’un lien de subordination caractérisé par la Cour de cassation

 

La question qui était ainsi posée à la Haute juridiction était celle de savoir s’il existait un lien de subordination entre la plateforme en ligne et le coursier.

Par un arrêt rendu le 28 novembre 2018 au visa de l’article L.8221-6 II du Code du travail, la Cour de cassation répond par la positive en deux étapes :

Elle réaffirme tout d’abord un principe établi de longue date selon lequel « l’existence d’une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont données à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs » (Cass. Soc., 19 décembre 2000, n°98-40.572).

De ce fait, elle précise que la qualification de contrat de prestation de services par les parties ne lie pas les juges.

Dans un second temps, elle recherche l’existence ou non d’un lien de subordination.

Pour se faire, elle rappelle la jurisprudence Société Générale qui précise que le lien de subordination est caractérisé par « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » (Cass. Soc., 13 novembre 1996, n°94-13.187).

Puis, en l’espèce, elle retient le lien de subordination entre la plateforme en ligne et le coursier en s’appuyant sur deux éléments :

  • La société avait mis en place un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus ;
  • Il existait un système de bonus-malus notamment en cas de retard du coursier, non-distribution de la commande, etc. pouvant entrainer son exclusion de la plateforme.

Ainsi, elle considère que la plateforme en ligne n’avait pas qu’un simple rôle de mise en relation entre le client, le restaurateur et le coursier et qu’elle disposait d’un véritable pouvoir de sanction à l’égard de ce dernier caractérisant de ce fait l’existence d’un lien de subordination et par conséquent d’un contrat de travail entre les parties.

 

Un alignement avec les décisions de justice européennes ?

 

Par cet arrêt, la Cour de cassation vient enfin mettre un terme aux décisions contradictoires des conseils de prud’hommes quant à la qualification juridique à donner à ces contrats.

En effet, la loi Travail du 8 août 2016 avait permis la création de garanties minimales afin de protéger cette nouvelle catégorie de travailleurs, mais n’avait apporté aucune précision quant à leur statut juridique.

C’est désormais chose faite avec cet arrêt.

Elle vient ainsi s’aligner sur des décisions de justice rendues à l’étranger, notamment en Angleterre et en Espagne, qui avait déjà reconnu l’existence d’un contrat de travail.

Et cette décision nouvelle ne semble être que le début d’une longue série. En effet, dans un arrêt du 10 janvier 2019 (CA Paris, 10 janvier 2019, n°18/08357), la Cour d’appel de Paris a conclu à l’existence d’un lien de subordination entre la plateforme Uber et son chauffeur.

Elle utilise le même faisceau d’indices que la Cour de cassation, à savoir l’existence d’un système de géolocalisation par l’application et d’un pouvoir de sanction de la société à l’égard des coursiers.

Il revient donc aux opérateurs d’être très prudents quant à la qualification de leur relation contractuelle au regard de cette nouvelle jurisprudence qui devrait avoir des effets conséquents.

Néanmoins, il est possible que cette jurisprudence soit rapidement freinée par le législateur.

En effet, le projet de Loi Mobilités présenté le 26 novembre 2018 par le Gouvernement prévoit en son article 20 d’intégrer une présomption de non-subordination juridique dès lors qu’est établi par la plateforme une charte prévoyant des garanties minimales.

Cette loi empêchera-t-elle les juges de requalifier les relations contractuelles entres les coursiers et les plateformes en ligne ? Affaire à suivre …

 

Par AGIL’ITPôle Droit social

Sandrine HENRION, Avocate associée