Transfert partiel d’activité : la scission du contrat de travail désormais possible

Dans un arrêt du 30 septembre 2020 (1), la chambre sociale de la cour de cassation opère un revirement de sa jurisprudence en choisissant d’appliquer le raisonnement du juge européen. Dans le cadre d’un transfert partiel d’activité, la scission du contrat de travail d’un salarié est désormais possible au prorata de l’exercice de ses fonctions. Cette décision offre un rééquilibrage de la charge des droits et obligations qui découlent du contrat entre les employeurs.

 

Une salarié a été engagée dans une SCP d’avocats, comportant 3 cabinets dont un à Nice et un autre à Menton, en tant que secrétaire puis en qualité de 1er clerc. Suite à la cession par son employeur de son cabinet de Menton à l’une de ses anciennes collaboratrices, il lui a été notifiée que son contrat de travail était transféré pour moitié au cabinet reprit. En conséquence, elle devait travailler 50% à Nice et 50% à Menton. La salariée va, par suite, prendre acte de la rupture de son contrat de travail, puis saisir le Conseil de Prud’hommes aux fins d’indemnisations d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’une exécution déloyale de son contrat de travail.

 

La cour d’appel va considérer qu’il existe bien un transfert partiel d’activité entre les deux cabinets et l’existence d’une entité économique autonome maintenue après la cession. Cependant, les juges vont retenir que l’évaluation de la charge de travail de la salariée faisait ressortir que celle-ci travaillait à hauteur de 50% de son activité de sorte qu’à défaut d’un transfert intégral de son temps de travail, le contrat devait se poursuivre avec l’employeur initial. Pour que tel ne soit pas le cas, l’essentiel des fonctions de la salariée aurait dû être au sein de l’entité transférée. Suivant ce raisonnement, la cour d’appel considère que l’employeur a imposé à la salariée un transfert de son contrat impliquant une modification de son exécution ce qui constitue selon elle un manquement suffisamment grave pour empêcher le maintien du contrat.

 

L’employeur initial forme, en conséquence, un pourvoi en cassation contre le décision des juges du fond. Il reproche à la cour d’appel d’avoir considéré qu’il restait le seul employeur de la salariée alors que la salariée travaillait autant pour le cédant que le cessionnaire.

 

La haute juridiction répond favorablement à la demande de l’employeur et se prononce sur les conditions de transfert partiel d’un contrat de travail lorsqu’un salarié travaille à parts égales pour l’entité transférée et pour l’activité conservée. Le point sur cette décision.

 

1. Transfert du contrat de travail et cession partielle d’activité : fondements et évolutions jurisprudentielles

 

L’article 1224-1 du code du travail (2) dispose que « lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ».

 

La jurisprudence a, quant à elle, étendu les possibilités de transfert du contrat de travail en cas de cession partielle d’activité dès lors que celle-ci constitue une entité autonome qui conserve son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise (Cass. Soc. 14 décembre 2005 n°03-48.404) (3).

 

Dans l’hypothèse ou un transfert ne concerne qu’une partie des activités, la haute juridiction a d’abord considéré que le contrat de travail du salarié affecté partiellement au secteur d’activité cédé devait être transféré au nouvel employeur pour la partie de l’activité qu’il consacrait à ce secteur (Cass ; Soc. 2 mai 2001 n°99-41.960) (4). Mais la cour de cassation a, par suite, limité le champs d’application de cette décision en considérant que si l’exercice essentiel des fonctions du salarié se trouvait dans le secteur d’activité repris, l’ensemble du contrat de travail devait être transféré au cessionnaire (Cass. Soc. 30 mars 2010 n°08-42.065) (5) et, dans le cas inverse le contrat devait se poursuivre avec le cédant (Cass. Soc. 21 septembre 2016 n°14-30.056) (6).

 

2. Intérêts des travailleurs et intérêts des employeurs : la recherche d’un juste équilibre

 

Pour la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) (7), dans le cas d’une cession impliquant plusieurs cessionnaires, il n’est pas possible d’envisager un transfert total du contrat de travail au cessionnaire auprès duquel le salarié exerce ses fonctions à titre principal.  La cour considère en effet que si l’un des cessionnaires se voyait transférer l’ensemble des droits et obligations en lien avec le contrat de travail cela créer une charge portant une atteinte trop importante à ses intérêts. Elle reconnait donc la possibilité d’opérer une scission du contrat de travail au prorata des fonctions exercées par le travailleur. Et, en cas d’impossibilité de réalisation de cette scission ou en cas d’atteinte des droits du travailleur, la résiliation serait en toutes hypothèses considéré comme étant du fait du ou des cessionnaires.

 

S’inspirant du droit communautaire, la cour de cassation, dans son arrêt du 30 septembre 2020, énonce que « le contrat de travail est transféré pour la partie de l’activité qu’il consacre au secteur cédé, sauf si la scission du contrat de travail, au prorata des fonctions exercés par le salarié, est impossible, entraine une détérioration des conditions de ce dernier ou porte atteinte au maintien de ses droits garantis par la directive ».

 

Il faut donc en déduire, au regard des jurisprudences nationales et communautaires, qu’il s’agisse d’une relation entre cessionnaires ou entre cédant et cessionnaire, que les conditions de mise en œuvre de la scission du contrat de travail et les responsabilités pouvant en découler sont identiques.

 

La difficulté va alors porter sur la faisabilité et les conditions pratiques d’une telle scission dont la mise en œuvre ne doit pas porter atteinte aux droits du salarié et entrainer une détérioration des conditions de travail.

 

 

L’équipe du pôle “Droit social” d’Agil’IT se tient à votre disposition pour vous accompagner dans ce cadre.

 

 

Par AGIL’IT – Pôle Droit social  

Sandrine HENRION, Avocate associée