La fin du débat prud’homal sur le barème Macron : l’avis de la Cour de cassation du 17 juillet 2019

L’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail a instauré, à l’article L.1235-3 du Code du travail, un barème encadrant, entre un minimum et un maximum variant entre un et vingt mois de salaire brut, les indemnités à la charge de l’employeur en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, en fonction de l’ancienneté du salarié et de la taille de l’entreprise.

Dès la promulgation de ce texte, le « barème Macron » a fait débat. Il a tout d’abord été contesté sur sa constitutionnalité. Sur ce point, dans une décision du 21 mars 2018 (Cons. const., 21 mars 2018, n° 2018-761), le Conseil constitutionnel a jugé, d’une part, que le législateur n’était pas contraint de prendre en compte des critères autres que celui de l’ancienneté pour l’octroi de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, et d’autre part, que les atteintes engendrées par le barème étaient justifiées et proportionnées.

Toutefois, après la question de la constitutionnalité du barème, c’est à la question de sa conventionnalité d’être posée. La Cour de cassation, après le Conseil constitutionnel, a pu répondre à cette question le 17 juillet 2019, en assemblée plénière : c’est en faveur de la conventionnalité du barème qu’elle a tranché.

 

La résistance des conseils de prud’hommes face au plafonnement des indemnités de licenciement : le problème de la conventionnalité du barème

Le « barème Macron » posait difficulté concernant sa conformité aux normes supranationales. Depuis quelques mois, il faisait l’objet d’une vive résistance de la part d’un certain nombre de conseils prud’homaux : ce fut ainsi le cas des conseils de prud’hommes d’Agen (CPH Agen, 5 février 2019, n°18-00049), d’Amiens (CPH Amiens, 19 décembre 2018, n°18-00040), ou encore de Troyes (CPH Troyes, 13 décembre 2018, n°18-00036), qui ont invalidé le barème au motif que les indemnités prévues étaient trop faibles, entrainant une réparation insuffisante et non adéquate au préjudice subi par le salarié. En effet, le barème fait varier les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse entre un minimum et un maximum, ce dernier se limitant à 20 mois de salaire pour un salarié ayant au moins 30 ans d’ancienneté.

C’est alors en se fondant sur les articles 10 de la convention 158 de l’OIT et 24 de la Charte sociale européenne, qui prévoient que les juges doivent ordonner le versement d’une « indemnité adéquate » ou autre « réparation appropriée », que les conseils prud’homaux avaient considéré que le barème était inconventionnel, en ce qu’il ne permettait pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés et donc d’allouer une réparation qui serait adéquate au préjudice subi. En effet, selon eux, le juge se retrouvait doté d’une faible marge de manœuvre pour l’octroi des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse puisque, s’il appliquait le barème, il était contraint de se limiter aux seuils, l’écart entre ceux-ci étant parfois faible : dès lors, il lui est plus difficile de prendre en compte la situation particulière du salarié et de lui octroyer une réparation adéquate.

Un autre argument avancé par les conseils prud’homaux en faveur de l’inconventionnalité du barème résidait dans l’absence de caractère dissuasif de ce dernier du fait de son montant. Le Conseil de prud’hommes de Troyes est même allé jusqu’à considérer que « ces barèmes sécurisent davantage les fautifs que les victimes et sont donc inéquitables » puisqu’en effet, un employeur qui procède à un licenciement sans cause réelle et sérieuse connait déjà le montant qu’il devra payer mais ce montant n’est, d’une part, pas de nature à le dissuader d’y procéder et, d’autre part, ne semble pas suffire à réparer le préjudice du salarié.

 

Un débat qui divisait au sein de la jurisprudence prud’homale

L’instauration du barème entrainait donc une discordance au sein de la jurisprudence et une multiplication des décisions, au risque que celles-ci divergent.
A la suite des juges de Troyes, ce fut au tour du Conseil de prud’hommes de Montpellier, le 17 mai 2019, d’invalider le barème en raison de l’inexactitude de la réparation qu’il prévoit, reprenant les mêmes motifs que les précédentes décisions, à savoir l’absence d’effet dissuasif du barème sur l’employeur et l’absence de réparation suffisante du préjudice subi par le salarié injustement licencié (CPH Montpellier, 17 mai 2019, n°18-00152).

Mais bien que la majorité des décisions penche à ce jour pour l’inconventionnalité du barème, les conseils prud’homaux du Mans (CPH Le Mans, 26 septembre 2018, n° 17-00538) et de Caen (CPH Caen, 18 décembre 2018, n°17-00193) avaient, quant à eux, considéré que ce dernier était bien conforme aux textes internationaux.

Les décisions qui appliquent le barème font apparaitre l’idée que, malgré l’existence d’un barème, le juge peut toujours prendre en compte d’autres éléments que l’ancienneté, liés à la situation particulière du salarié, pour adapter l’indemnité, tout en respectant les planchers et plafonds. Ils ajoutent, par ailleurs, que le barème n’est pas applicable en cas de licenciement nul (harcèlement, moral ou sexuel, ou discrimination) et que d’autres préjudices en lien avec le licenciement sont susceptibles d’une réparation distincte sur le fondement de la responsabilité civile, considérant ainsi que le barème Macron n’empêche pas l’individualisation des indemnités lorsque la situation le nécessite.

Plus récemment, les juges de Longjumeau ont opté, le 14 juin 2019, pour un raisonnement inédit sur la question : selon eux, l’article L.1235-3 du Code du travail pourrait en effet être contraires aux textes internationaux mais seulement si le salarié parvient à démontrer « que le montant réel de son préjudice matériel excède le plafond ». Le Conseil de prud’hommes de Longjumeau reconnait donc un caractère facultatif au barème Macron.

 

La réponse de la Cour de cassation : la validation du barème

Saisie par les conseils de prud’hommes de Louviers et de Toulouse, la Cour de cassation en formation plénière vient de rendre deux avis (Avis 15012 et 15013 du 17 juillet 2019 – Formation plénière)[1]

Le 8 juillet dernier, celle-ci s’est réunie en séance plénière sous la présidence de Laurence Flise, pour débattre sur les questions de savoir si le barème permet une indemnisation adéquate du salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et si les juges prud’homaux ont toujours la possibilité d’exercer leur pouvoir d’appréciation.

Les avocats se sont également opposés sur l’applicabilité directe ou non des dispositions internationales invoquées. Notamment, selon l’avocate générale, Catherine Courcol-Bouchard, seule la Convention 158 de l’OIT doit être prise en compte par la Cour de cassation, les autres textes n’étant pas d’applicabilité directe.

Sans grande surprise, l’avocate générale, ainsi que les avocats représentant les employeurs, se sont prononcés en faveur de l’application du barème[2]. A l’inverse, les représentants des salariés se sont fortement opposés au barème lui-même, argumentant qu’il sécurise l’employeur en lui permettant de savoir à l’avance ce qu’il va payer et entraine un traitement identique pour des salariés placés dans une situation différente (même ancienneté, mais différence d’âge et de bassin d’emploi, par exemple).

C’est finalement ce mercredi 17 juillet que la Cour de cassation a rendu un avis sur la conventionnalité du barème Macron. Et c’est en faveur de la position de l’avocate générale qu’elle s’est prononcée.

La Cour de cassation a estimé que l’article L. 1235-3 du Code du travail est conforme à l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT (d’application directe en droit interne) qui prévoit que « Si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée. »

La Cour précise que le terme “adéquat” doit être compris comme réservant aux Etats parties une marge d’appréciation.

Ainsi, dans le cas d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise. En cas de refus de cette réintégration par l’une ou l’autre des parties, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dans les limites de montants minimaux et maximaux. Les limites d’indemnisation fixées par l’article L. 1235-3 du Code du travail constituent la marge d’appréciation de l’Etat français.

En revanche, la Cour a écarté l’application des autres textes, considérant que les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne ne sont pas dotées d’un effet direct en droit interne et que le barème n’entrait pas dans le champ d’application de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Par ailleurs, la Cour de cassation revient par la même occasion sur sa jurisprudence au titre de laquelle elle se refusait à contrôler la conformité des dispositions françaises aux textes internationaux par un simple avis afin d’apporter une réponse rapide aux questions juridiques nouvelles et garantir une certaine sécurité juridique.

Ainsi, la Cour considère que la compatibilité d’une disposition de droit interne avec les dispositions de normes européennes et internationales peut faire l’objet d’une demande d’avis dès lors que son examen implique un contrôle abstrait ne nécessitant pas l’analyse d’éléments de fait relevant de l’office du juge du fond.

Il n’en reste pas moins que ces avis n’étant pas contraignant, les juges prud’homaux pourront continuer à écarter le barème en motivant leur décision, mais si cette dernière fait l’objet d’un appel ou d’un recours en cassation, elle a de forte chance d’être rejetée, conformément aux avis rendus par la formation plénière pour avis de la Cour de cassation.

 

Par AGIL’ITPôle Droit social
Sandrine HENRION, Avocate associée

 

[1] Note explicative relative aux avis n°15012 et 15013 du 17 juillet 2019

[2] Conclusions de Madame le premier avocat général, Catherine Courcol-Bouchard