Le barème « Macron » applicable au cas par cas

La Cour d’appel de Reims a rendu un arrêt très attendu le 25 septembre 2019, n°19/00003. En effet, cette décision intervient après la résistance des conseils de prud’homme de Troyes le 13 décembre 2018, de Lyon le 21 décembre 2018, de Grenoble le 18 janvier 2019, de Montpellier le 17 mai 2019, ainsi que les deux avis rendus par la cour de cassation du 17 juillet 2019 qui concluait à la compatibilité du barème avec les textes internationaux (sur ce sujet voir article publié sur le site).

En l’espèce, il s’agissait d’une salariée licenciée pour motif économique, qui a saisi la juridiction prud’homale pour faire déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle sollicitait à ce titre une indemnité en demandant que soit écarté pour inconventionnalité le barème.

Le conseil des prud’hommes de Troyes lui a donné raison et, jugeant le licenciement sans cause réelle et sérieuse, a écarté l’application dudit barème qu’il a estimé non conforme à la Charte sociale européenne et la Convention n°158 de l’organisation internationale du travail (OIT), lesquels prévoient le droit à une « indemnité adéquate » ou tout autre « réparation appropriée ».
Un appel a été interjeté, la Cour d’appel de Reims est la première juridiction du second degré à avoir été saisie. Dès lors, elle a dû se positionner sur la conventionnalité du barème mais également sur son application.

 

La cour d’appel de Reims conclut à la conventionnalité du barème macron …

Par un arrêt du 25 septembre 2019, la Cour d’appel de Reims a infirmé le jugement rendu par le conseil des prud’hommes. A ce titre, elle a estimé que, in abstracto, le plafonnement des indemnités prud’homales n’était pas en lui-même contraire aux textes internationaux. Il s’agit ici d’une appréciation de la règle de droit en elle-même.

D’ailleurs dans un arrêt du 18 septembre 2019 n°17/06676, la Cour d’appel de Paris va dans le même sens : « En l’espèce, la cour estimant que la réparation à hauteur des deux mois prévus par le barème constitue une réparation du préjudice adéquate et appropriée à la situation d’espèce, il n’y a pas lieu de déroger au barème réglementaire et de considérer le dit barème contraire aux conventions précitées. »

 

… tout en se réservant la possibilité d’en écarter l’application au cas par cas

Toutefois, elle admet que le barème, bien que jugé conventionnel, puisse être écarté par le juge lors d’un contrôle in concreto au cas par cas, elle a considéré que « le contrôle de conventionnalité ne dispense pas, en présence d’un dispositif jugé conventionnel, d’apprécier s’il ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné ».

Ainsi, il s’agit ici pour le juge de déterminer, dans chaque cas d’espèce, si le barème peut être appliqué ou doit être écarté dans le cas où son application porterait atteinte au droit à une réparation adéquate.

Elle précise enfin que le juge du fond ne peut pas d’office réaliser ce contrôle de proportionnalité qui pourrait permettre d’écarter le barème ; celui-ci doit être demandé par le salarié. En outre, le salarié n’a pas besoin « de justifier au préalable d’un préjudice de perte d’emploi supérieur au plafond d’indemnisation correspondant à son ancienneté ou qu’il démontre avoir subi un tel préjudice qui ne serait pas réparé de façon adéquate ou appropriée ». Ainsi, la salariée n’ayant sollicité aucun contrôle de sa situation personnelle, les juges d’appel ont décidé que le barème devait s’appliquer.

 

La Cour d’appel de Reims se positionne ainsi du point de vue de la conventionnalité du barème en s’alignant à l’avis rendu par la Cour de cassation tout en ouvrant une brèche. En effet, cette possibilité d’appliquer le barème au cas par cas (in concreto) redonne au juge le pouvoir d’appréciation dont il était privé jusque-là dans la mesure où le barème encadre entre un minimum et un maximum les indemnités prévues en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Ainsi, l’appréciation de la proportion entre le préjudice subi et le montant de l’indemnité susceptible d’être allouée pourrait, à terme, permettre aux juges de s’affranchir du barème. Le barème n’aurait donc plus de force contraignante pour les juges. Il faudra attendre la saisine de la Cour de cassation qui tranchera définitivement le débat, affaire à suivre…

 

Par AGIL’ITPôle Droit social
Sandrine HENRION, Avocate associée