Diffamation, injure et service public : quelles règles s’appliquent ?

« Comportements anéthiques et anti-déontologiques », réalisation d’une « vidéo insultante pour la psychanalyse » : telles sont les accusations portées par dix chercheurs du Conseil national des universités (CNU) à l’encontre de l’un de leurs collègues, dans un courriel distribué à plusieurs des membres de ce conseil. Le chercheur mis en cause a fait citer les signataires du courriel devant le tribunal de police de Paris afin de les voir condamnés pour diffamation non publique. Le tribunal a relaxé les prévenus, retenant leur bonne foi, et débouté le chercheur, partie civile, de ses demandes d’indemnisation. Dans un arrêt du 16 septembre 2021, la Cour d’appel de Paris a infirmé le jugement du tribunal sur une question de forme, à savoir l’incompétence de la juridiction civile saisie. En l’espèce, seules les juridictions administratives étaient compétentes. Cette décision nous donne l’occasion d’un rappel sur les infractions de presse (I) et les règles applicables à la poursuite de celles-ci lorsqu’elles sont commises contre ou par un élu ou agent du service public (II).  

I. Diffamation et injure : quelles distinctions ?

Qualification

La diffamation et l’injure sont deux infractions soumises au régime procédural spécifique de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (ci-après « la loi du 29 juillet 1881 »). La diffamation consiste en l’allégation ou l’imputation d’un fait précis portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne identifiée ou identifiable (article 29, alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881). L’injure, quant à elle, est définie comme toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait (article 29, alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881). La distinction entre les qualifications d’injure et de diffamation réside principalement dans la notion d’imputation d’un fait précis :

  • Si un fait précis est imputé à une personne identifiée ou identifiable, cette imputation ou allégation peut constituer une diffamation, sous réserve de la vérification des autres éléments constitutifs de cette infraction. Le fait imputé ou allégué doit pouvoir faire sans difficulté l’objet d’une preuve ou d’un débat contradictoire devant un tribunal (Ass. Plén., 25 juin 2010, n°08-86891) ;
  • Si cette condition n’est pas remplie, alors seule la qualification d’injure peut être envisagée.

La diffamation comme l’injure doivent être caractérisées à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes identifiées ou identifiables, visées directement, et capables d’ester en justice, c’est-à-dire dotés d’une personnalité juridique (physique ou morale).

Immunités parlementaire et judiciaire (article 41, loi du 29 juillet 1881)

Aucune action en diffamation ou relative à une injure ne peut être introduite concernant :

  • les discours tenus au sein de l’une ou l’autre des chambres du Parlement, les comptes-rendus relatifs aux séances publiques de ces chambres, les rapports qui y sont produits ou les propos ou écrits résultant d’une commission parlementaire ;
  • les discours tenus et les pièces produites dans le cadre des débats judiciaires, ou les comptes-rendus fidèles de ces débats.

 

Exonérations de responsabilité ou de peine

Les personnes poursuivies pour diffamation ou injure peuvent être exonérées de responsabilité ou de peine lorsqu’elles bénéficient de certaines exceptions. Lorsqu’elle est retenue, l’excuse de provocation exonère de peine l’auteur de l’injure (article 33, alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881). Cette provocation ne peut résulter que « de propos, d’écrits injurieux, et de tous autres actes de nature à atteindre l’auteur de l’infraction, soit dans son honneur ou sa considération, soit dans ses intérêts pécuniaires ou moraux ».  L’excuse de provocation n’est toutefois pas applicable en matière d’injures à caractère discriminatoire (article 33, alinéas 3 et 4 de la loi du 29 juillet 1881). En ce qui concerne la diffamation, deux exceptions permettent au prévenu d’être exonéré de responsabilité :

Caractère privé ou public des propos litigieux

La qualification pénale des infractions de diffamation et d’injure et la peine qui y est associée dépendent de leur caractère public ou privé (cf. non public). Ainsi, l’injure et la diffamation, lorsqu’elles sont publiques, constituent des délits punis de 12 000 € d’amende (articles 33, alinéa 2 et 33, alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881). Lorsqu’elles sont privées (cf. non publiques), elles constituent des contraventions de 1ère classe, punies d’une amende de 38 € (articles R.621-1 et R.621-2 du Code pénal). Le caractère privé ou public de l’injure ou de la diffamation s’apprécie selon des critères identiques. Un message est considéré comme privé dès lors qu’il est adressé à des personnes déterminées et individualisées, formant une communauté d’intérêts (JO Sénat Q 7 avr. 2016, p. 1457 et Rép. min. n° 15417). Si ces conditions ne sont pas remplies, le message et donc l’infraction seront considérés comme publics. Ainsi, des propos litigieux publiés sur un site internet accessible à toute personne par une adresse web relèvent de la diffamation publique. Concernant des publications sur les réseaux sociaux, Facebook, Twitter ou autres, la question est de déterminer si la publication est accessible à un nombre limité de personne déterminée (diffamation ou injure privée) ou sera visible par un grand nombre de personnes, inconnues de l’auteur (diffamation ou injure publique). A titre d’illustration, dans un arrêt du 26 février 2020 (CA Paris, pôle 2, 7e ch., 26 février 2020, n° 10/2020), la cour d’Appel de Paris a reconnu le caractère diffamatoire de propos tenus par un particulier sur son compte Twitter à l’encontre d’un animateur TV et radio. Les tweets mentionnaient un comportement pervers et pédophile de l’animateur, et notamment qu’il avait créé 812 comptes sur Twitter pour piéger de jeunes gens afin de les corrompre. Ceci constitue l’allégation d’un fait précis pénalement répréhensible et de nature à porter atteinte à l’honneur et à la considération de l’animateur. Enfin, le caractère public de la diffamation a été retenue dans la mesure où les messages publiés étaient accessibles aux 14 000 abonnés du prévenu : ce nombre élevé ne permettait pas de considérer que les diffusions litigieuses étaient limitées à un groupement lié par une communauté d’intérêt. Par conséquent, l’infraction a été qualifiée de diffamation publique.  

II. Ordre juridictionnel compétent en matière d’infraction de presse commise par un fonctionnaire

Le tribunal judiciaire possède en principe une compétence exclusive pour traiter des actions civiles pour diffamation ou injure (article R211-3-26, 13° du Code de l’organisation judiciaire). Cependant, en matière d’injure ou de diffamation commise par un fonctionnaire, un principe supérieur doit être pris en compte : celui de la séparation des fonctions judiciaires et administratives (article 13 de la loi des 16-24 août 1790 sur l’organisation judiciaire, décret du 16 fructidor an III). En vertu de ce principe, la Cour de cassation considère que :

  • les tribunaux répressifs de l’ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité d’une administration ou d’un service public en raison d’un fait dommageable commis par l’un de leurs agents ;
  • d’autre part, l’agent d’un service public n’est personnellement responsable des conséquences dommageables de l’acte délictueux qu’il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions ( 20 juin 2006, n° 05-87.415; Crim.14 nov. 2017, n°17 80 934 ; CA Paris, 16 sept. 2021).

Dans l’arrêt qui nous occupe, la Cour d’appel de Paris considère que les infractions reprochées aux prévenus ne sont pas détachables de leurs fonctions dans la mesure où « les faits qui leur sont reprochés sont intervenus dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions au CNU » :

  • Si le courrier litigieux a été diffusé pendant les vacances scolaires, un vocabulaire scientifique est utilisé dans le courrier pour appuyer l’argumentation des rédacteurs ;
  • Il s’agit d’un litige entre universitaires dans le cadre de leurs travaux au sein de la section XVI du CNU dédiée à la psychologie.

C’est au vu de ces considérations que la Cour d’appel retient que les infractions reprochées aux prévenus, n’étant pas détachables de leurs fonctions, relèvent de la compétence des juridictions administratives.      

 

Le Pôle « IT & Cybercriminalité » d’AGIL’IT se tient à votre disposition pour vous accompagner en matière de diffamation ou d’injures et plus largement en cybercriminalité et pour toute question que vous pourriez avoir à ce sujet.  

Par AGIL’ITPôle IT & Cybercriminalité

Sylvie JONAS, Avocate associée

Morgane BOURMAULT, Avocate