La marque collective CREDIT MUTUEL : un enjeu stratégique (CA Paris, 27 février 2018)

Le CREDIT MUTUEL est un groupe français bien connu dans les domaines de la banque, de l’assurance.

La marque collective verbale CREDIT MUTUEL a fait l’objet d’un contentieux engagé par la société CREDIT MUTUEL ARKEA, créée en 1960, et qui fait partie du groupe CREDIT MUTUEL.

La CONFEDERATION NATIONALE DU CREDIT MUTUEL (CNCM) a elle été créée par une ordonnance du 16 octobre 1958 et a rôle de contrôle, d’inspection et de représentation du réseau des caisses de crédit mutuel auprès des pouvoirs publics.

 

La CNCM est titulaire de plusieurs marques collectives incluant les termes CREDIT MUTUEL, et notamment d’une marque française collective verbale CREDIT MUTUEL. Un règlement d’usage contrôlé par la CNCM prévoit les conditions d’utilisation de ces marques.

Suite à des désaccords avec la CNCM, le CREDIT MUTUEL ARKEA a manifesté son envie de quitter le groupe CREDIT MUTUEL (voir les explications sur cette vidéo : https://www.youtube.com/watch?time_continue=199&v=xh1dQKOtLAk). En réplique, la CNCM a indiqué que le CREDIT MUTUEL AKLEA n’aurait plus le droit d’utiliser la marque ‘CREDIT MUTUEL’ si elle quittait le groupe.

C’est dans ce contexte tendu que le CREDIT MUTUEL ARKEA a assigné la CNCM en nullité de la marque collective verbale CREDIT MUTUEL pour défaut de distinctivité.

En première instance, le Tribunal de grande instance de Paris a déclaré l’action irrecevable faute d’intérêt à agir (TGI Paris, 26 mai 2016). La Cour d’appel infirme le jugement sur ce point et statue donc sur le fond des demandes.

 

Plusieurs points sont intéressants dans cette décision.

 

  1. L’intérêt à agir en nullité de la marque collective CREDIT MUTUEL

 

Conformément aux règles de l’article 31 du Code de procédure civile (CPC), « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention ». Il est donc nécessaire que celui qui agit en nullité de marque prouve son intérêt à agir au jour de l’introduction de l’instance (c’est-à-dire au jour de l’assignation et non celui de l’enrôlement). L’intérêt à agir doit être personnel et direct, légitime, né et actuel.

 

Le Tribunal a rappelé ce principe en ajoutant l’hypothèse d’un « intérêt futur mais certain de voir annuler cette marque ».

 

Au regard des preuves versées aux débats, cet intérêt n’est pas établi pour le Tribunal puisque le départ du groupe ne serait qu’une hypothèse :

« Si dans le futur la société CRÉDIT MUTUEL ARKEA quittait le réseau CREDIT MUTUEL tel qu’il est organisé par les dispositions nationales et européennes, elle aurait intérêt à agir à l’encontre de la marque française collective CREDIT MUTUEL n° 3828979. Mais cet intérêt futur n’est pas certain puisqu’aucun projet sérieux et avancé de scission n’est versé au débat. En cas d’intérêt futur mais certain étayé par des pièces démontrant la préparation d’un projet et son avancement, la société CREDIT MUTUEL ARKEA pourrait arguer d’un intérêt à agir mais en l’état, elle ne démontre disposer que d’un intérêt futur et hypothétique qui ne remplit pas les conditions de l’article 31 du code de procédure civile. »

 

La Cour d’appel procède à une analyse différente des faits et considère que le CREDIT MUTUEL ARKEA a bien intérêt à agir puisque le projet de scission est sérieux et qu’elle a intérêt pouvoir utiliser librement les termes ‘crédit mutuel’ qui font partie de sa dénomination sociale depuis 1960.  L’intérêt résulte également d’un courrier de la CNCM de 2014 ; « Si Arkea sort du Crédit Mutuel, il devra fonctionner et se développer sous le marque Arkea ou toute autre marque qu’il choisira, à l’exclusion de la marque Crédit Mutuel ou de toute combinaison de marques associant la marque Crédit Mutuel’) ».

 

A la lecture de l’arrêt, l’intérêt à agir apparait en effet manifeste.

 

 

  1. L’examen du caractère frauduleux de la marque CREDIT MUTUEL

 

 

Le CREDIT MUTUEL ARKEA invoquait la fraude contre le dépôt de marque en 2011 dans un contexte conflictuel.

 

La Cour rappelle les principes juridiques en la matière : « en application du principe fraus omnia corrumpit, un dépôt de marque est frauduleux lorsqu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité présente ou ultérieure ; que la fraude est caractérisée dès lors que le dépôt a été opéré pour détourner le droit des marques de sa finalité, non pour distinguer des produits et services en identifiant leur origine mais pour priver des concurrents du déposant ou tous les opérateurs d’un même secteur d’un signe nécessaire à leur activité ; que le caractère frauduleux du dépôt s’apprécie au jour du dépôt et ne se présume pas, la charge de la preuve de la fraude pesant sur celui qui l’allègue ».

 

Selon la Cour, l’intention de nuire n’est pas prouvée et, au contraire, la CNCM justifie qu’elle a, plusieurs années avant le dépôt de marque, couramment utilisé les termes ‘crédit mutuel’ dans le cadre notamment de publicités radiophoniques.

 

 

  1. Le rejet du grief d’illicéité de la marque CREDIT MUTUEL

 

Le CREDIT MUTUEL ARKEA a soutenu que les termes ‘crédit mutuel’ sont la désignation légale d’une activité bancaire et/ou des banques mutualistes organisées en réseau, comme cela résulte des dispositions du code monétaire et financier et de l’ordonnance n° 58-966 du 16 octobre 1958, qui sont des prescriptions d’ordre public, et que leur adoption en tant que marque porte atteinte à cet ordre public dès lors qu’elle interdit à tout opérateur désireux d’utiliser ces termes de le faire.

 

La Cour rejette cet argument inventif car « le code monétaire et financier consacre la réservation au profit de la CNCM, organe central du réseau CREDIT MUTUEL, de l’expression ‘CREDIT MUTUEL’, dont les marques collectives « CREDIT MUTUEL » sont la traduction commerciale ».

 

 

  1. La distinctivité de la marque acquise par l’usage

 

 

Une marque est distinctive lorsqu’elle permet d’identifier les produits ou services qu’elle désigne comme provenant d’une entreprise déterminée et donc de distinguer ces produits et services de ceux d’autres entreprises.

 

La Cour d’appel considère que la marque verbale CREDIT MUTUEL est dépourvue de distinctivité intrinsèque pour les produits et services relatifs à l’activité bancaire au regard (i) des dispositions du code monétaire et financier et (ii) de l’utilisation des termes ‘crédit mutuel’ pour désigner une activité bancaire :

 

« Considérant que le code monétaire et financier, notamment les dispositions des articles L. 512-55 (‘les caisses de crédit mutuel (‘) ont exclusivement pour objet le crédit mutuel’) et R. 512-20 (qui fait référence aux ‘principes généraux du crédit mutuel’), utilise le termes ‘crédit mutuel’ pour désigner un type d’activités bancaires consistant à offrir des services bancaires mettant en œuvre les principes de crédit mutuel ; qu’en outre, la société appelante fournit des documents dans lesquels les termes ‘crédit mutuel’ sont employés pour désigner un type de service bancaire (Le Crédit Raiffeisen en Europe paru en 1968 (‘ Le Crédit Mutuel consiste dans la réciprocité des positions débiteur ou créditeur des membres d’un groupe, au cours d’une certaine période’), article de l’encyclopédie Universalis consacré à F.W. RAIFFEISEN (1818-1888) , fondateur de la mutualité de crédit (‘A sa mort F.W. Raiffeisen aura mis en place tous les éléments du crédit mutuel : les principes de fonctionnement des caisses locales, les trois degrés, la compensation financière, le contrôle’) ; que la CNCM fournit elle-même l’ouvrage Le Crédit Mutuel édité en 1967 par l’Institut d’Etudes bancaires et financières, qui fait état d’‘exemples sporadiques de crédit mutuel’ ou évoque les ‘formes plus récentes de crédit mutuel’ ; »

 

 

Cependant, l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle qui prévoit la condition de distinctivité précise que le caractère distinctif peut être acquis par l’usage.

 

La Cour d’appel rappelle les principes applicables : « l’acquisition du caractère distinctif par l’usage suppose la preuve d’un usage continu, intense et de longue durée du signe constituant la marque et ce, à titre de marque, de sorte que ce signe est connu et identifié par une partie significative du public pertinent intéressé par les produits et services qu’il propose ; Que pour apprécier le caractère distinctif acquis par l’usage, il faut se placer, lorsque la nullité de la marque est demandée à titre principal, au moment où le juge statue »

 

La Cour rappelle également la jurisprudence communautaire NESTLE selon laquelle « l’acquisition d’un caractère distinctif, peut résulter aussi bien de l’usage, en tant que partie d’une marque enregistrée, d’un élément de celle-ci que de l’usage d’une marque distincte en combinaison avec une marque enregistrée » (CJCE, 7 juillet 2005, C- 353/03).

 

La Cour examine les nombreuses pièces versées par la CNCM et en déduit que la CNCM démontre l’usage continu, intensif, durable qui a été fait, la marque ‘CREDIT MUTUEL’ qui a donc acquis un caractère distinctif.

 

Deux éléments sont notables dans l’analyse factuelle des preuves :

 

  • Le CREDIT MUTUEL ARKEA soutenait que la plupart des preuves n’établissaient pas un usage à titre de marque mais font seulement référence au CREDIT MUTUEL en tant qu’entreprise. Cet argument intéressant est rejeté par la Cour qui tient compte de la spécificité du secteur bancaire : « le fait qu’un élément verbal soit utilisé en tant que nom commercial de l’entreprise n’exclut pas qu’il puisse être également utilisé en tant que marque pour désigner des produits ou services (CJCE, 11 septembre 2007, C-17/06, Céline) ; que cela est d’autant plus vrai dans le secteur bancaire où le consommateur personnifie couramment la marque ; qu’en l’espèce, le signe ‘CREDIT MUTUEL’ désigne à la fois la marque et le nom commercial de l’entreprise ‘groupe CREDIT MUTUEL »
  • La CNCM a produit un sondage « auprès d’un échantillon de 1003 personnes, relatif au caractère distinctif de la marque, duquel il ressort que 89 % des personnes interrogées associent les termes ‘CREDIT MUTUEL’ à une banque et, pour 55 %, depuis au moins 10 ans, ce qui est de nature à démontrer sans ambiguïté qu’une fraction significative du public concerné perçoit la marque ‘CREDIT MUTUEL’ comme identifiant les produits et services désignés par elle comme provenant du groupe CREDIT MUTUEL». Les sondages sont souvent l’arme décisive pour établir l’acquisition du caractère distinctif par l’usage. Etonnamment, l’arrêt n’évoque pas de critique formulée à l’encontre de ce sondage, alors que les conditions de réalisation et les questions dont généralement l’objet de débats judiciaires.

 

 

 

En conclusion, la marque collective verbale CREDIT MUTUEL est reconnu valide en raison de l’usage réalisé. Il faut noter que la CNCM n’a pas formé de demande reconventionnelle en contrefaçon. Il est probable qu’un nouveau contentieux oppose les parties à l’avenir sur l’usage des termes CREDIT MUTUEL (si cela n’est pas déjà le cas). Il y aura alors un beau débat sur la notion d’usage à titre de marque.

 

 

Jérôme TASSI