Aperçu de l’ordonnance du 15 décembre 2021 sur la dévolution de certains droits de propriété intellectuelle réalisés par des non-salariés

Le Journal Officiel du 16 décembre 2021 contient une ordonnance n°2021-1658 du 15 décembre 2021 « relative à la dévolution des droits de propriété intellectuelle sur les actifs obtenus par des auteurs de logiciels ou inventeurs non-salariés ni agents publics accueillis par une personne morale réalisant de la recherche ».
 

L’objectif est d’aligner la dévolution des droits réalisés en entreprises par des non-salariés sur le régime applicable aux salariés et aux agents publics.
 

L’ordonnance règle une question latente depuis de nombreuses années et qui concerne, en premier lieu, les stagiaires.
 

Quelles créations sont concernées ?

 

L’ordonnance a une portée limitée aux logiciels (nouvel article L. 113-9-1 du Code de la propriété intellectuelle) et aux inventions brevetables (nouvel article L. 611-7-1 du CPI). Les créations protégeables par le droit d’auteur (hors logiciels) et/ou les dessins et modèles ne sont pas concernées. Ne sont pas davantage visés les « travaux valorisés » pour lesquels les fonctionnaires et agents publics bénéficient d’un intéressement (selon le décret n°96-858 du 2 octobre 1996, il s’agit des « travaux de recherche ayant conduit à un produit ou à un procédé original qui ne relève pas de la législation sur le droit d’auteur, sur les brevets d’invention ou sur les obtentions végétales et qui donne lieu à une exploitation commerciale »).
 

Quels créateurs sont visés par l’ordonnance ?

 

Les créateurs concernés sont des personnes physiques qui ne relèvent pas des articles L. 113-9 et L. 611-7 du CPI, c’est-à-dire qui ne sont ni salariés ni agents de l’Etat. Ces créateurs doivent être  « accueillies dans le cadre d’une convention par une personne morale de droit privé ou de droit public réalisant de la recherche ». Le Rapport au Président de la République indique que relèvent de cette catégorie notamment « les stagiaires, doctorants étrangers et professeurs ou directeurs émérites ».
 

Le régime issu de l’ordonnance s’appliquera probablement aux personnes en VIE (volontariat international en entreprise). En effet, il existe bien, dans cette situation, une convention entre la personne et la personne morale l’accueillant conformément à l’article L. 122-7 du Code du service national.
 

Le créateur doit être « accueilli » par la personne morale de droit privé ou de droit public. Cette notion juridiquement imprécise semble écarter le cas du consultant indépendant qui travaillerait pour une société. Dans ce cas, il existe bien une convention de consultance mais il n’y a pas probablement pas d’accueil au sens du texte mais une prestation de services réalisée le consultant.  Pour la même raison, les gérants non-salariés ne sont pas concernés par l’ordonnance. La question devra probablement être éclaircie par la jurisprudence.
 

En ce qui concerne les auteurs de logiciels, il est nécessaire que la personne soit placée sous la responsabilité de la personne morale accueillante et perçoive une contrepartie (une indemnité de stage par exemple). Selon le Rapport accompagnant l’ordonnance, la contrepartie peut être financière ou matérielle. A défaut, le régime de droit commun s’applique et l’auteur reste titulaire des droits sur son logiciel.
 

Quelles personnes morales bénéficient de la dévolution ?

 

Il s’agit des personnes morales de droit privé ou de droit public « réalisant de la recherche ». Cette notion ne semble jamais avoir été utilisée auparavant dans des textes législatifs ou réglementaires et interpelle par son imprécision. Il convient probablement de l’entendre largement comme toute recherche académique, théorique ou appliquée. En revanche, le texte n’est pas limité à la seule recherche scientifique. Par exemple, un logiciel d’analyse légistique réalisé par un stagiaire dans un laboratoire universitaire en droit serait vraisemblablement dévolu à l’Université.

 

Quelle dévolution des droits ?

 

La dévolution est alignée sur celles des salariés et des agents publics.
 

Pour les logiciels, les droits patrimoniaux sont dévolus à la personne morale accueillante qui est seule habilitée à les exercer.
 

Pour les inventions brevetables, l’inventeur doit informer la personne morale accueillante de leur réalisation et les trois catégories de l’article L. 611-7 du CPI sont transposées :
 

  • les inventions dites « de mission » définies comme celles réalisées par l’inventeur dans l’exécution soit d’une convention comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives (mission inventive générale), soit d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées par la personne accueillante (mission inventive ponctuelle). Elles appartiennent à la personne morale accueillante mais l’inventeur bénéficie d’une rémunération supplémentaire et il est informé du dépôt et de la délivrance du titre.

 

  • les inventions dites « hors mission attribuables » sont celles réalisées par l’inventeur soit dans le cours de l’exécution de ses missions et activités, soit dans le domaine des activités de la personne morale accueillante soit par la connaissance ou l’utilisation des techniques ou de moyens spécifiques à cette personne morale, ou de données procurées par elle. La personne morale peut se faire attribuer la propriété ou la jouissance des droit attachés au brevet selon une procédure qui sera fixée par décret en Conseil d’Etat. En cas d’attribution par la personne morale accueillante, l’inventeur a droit à un juste prix ;

 

  • Toutes les autres inventions dites « hors mission non attribuables » réalisées par un inventeur lui appartiennent et ce dernier peut librement les exploiter.

 

Quelle contrepartie financière pour la dévolution des droits ?

 

Pour les logiciels, l’ordonnance ne prévoit pas de rémunération particulière. Il faut donc en déduire que la personne morale accueillante n’a pas l’obligation de verser une contrepartie financière à l’instar de ce qui existe pour les salariés (CA Lyon, 26 sept. 1997 – CA Rennes, 1er juill. 2014).
 

Pour les inventions brevetables, l’ordonnance a prévu que l’inventeur doit bénéficier d’une contrepartie financière pour les inventions de mission et d’un juste prix pour les inventions hors mission. Cependant, l’ordonnance renvoie à un futur décret pour les modalités de ces contreparties financières. Ce décret est très attendu car, à ce jour, aucun texte ne prévoit les modalités de calcul précises de la rémunération supplémentaire ou du juste prix pour les salariés de droit privé (alors que les modalités sont prévues pour les agents publics). Toutefois, il n’est pas certain que le décret donne des éléments chiffrés précis et il pourrait simplement être fait référence à des critères à prendre en compte.
 

Quels recours en cas de désaccord ?

 

Les parties peuvent contester la qualification de la création ou la contrepartie financière.
 

Pour les logiciels, l’ordonnance prévoit que la contestation est soumise au tribunal judiciaire du siège social de la structure d’accueil.
 

Pour les inventions brevetables, tout litige relatif à la contrepartie financière dont doit bénéficier l’inventeur est soumis à la commission de conciliation instituée par l’article L. 615-21 (actuellement dénommées Commission Nationale des Inventions de Salariés, nom sans doute amené à évoluer) ou au tribunal judiciaire. Le Tribunal n’est pas nécessairement celui de la personne morale accueillante et les règles classiques de procédure civile s’appliqueront.

 

Jérôme TASSI