Quels impacts du Brexit sur le secteur des télécoms ?

La procédure de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, entamée le 29 mars 2017 par la notification de l’article 50 du traité sur l’Union européenne, devrait prendre effet le 29 mars 2019. En l’absence d’accord sur les modalités de ce retrait, il convient d’envisager l’impact d’un éventuel « no-deal Brexit » sur le secteur des télécommunications.

 

Quels impacts du Brexit sur la réglementation applicable au secteur des télécoms ?

Le droit de l’Union européenne cessera de s’appliquer au Royaume-Uni à compter de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait qui devait être conclu, ou pour les optimistes qui sera conclu, avec le Conseil européen, ou, à défaut d’accord, deux ans après la notification précitée, soit le 29 mars 2019. La fourniture de services de télécommunications dans l’Union européenne est soumise à des règles sectorielles spécifiques principalement issues de directives européennes, dénommées le « Paquet Télécom » [1]. Ces directives ne sont pas d’application directe et requièrent une transposition en droit interne.

Au Royaume-Uni, ces textes ont été majoritairement transposés par le « Communications Act » de 2003 et leur application en droit interne ne sera donc pas impactée, dans un premier temps, par un « no-deal Brexit ». La législation nationale pourra toutefois être amenée à évoluer en ce qu’elle ne sera plus contrainte par les objectifs fixés par l’Union européenne.

 

Le secteur des télécommunications est également régi par des règlements européens, relatifs notamment à l’itinérance ou à la neutralité du net, et encadré par des recommandations de la Commission européenne, afférents notamment aux obligations de non-discrimination et aux méthodes de calcul des coûts. A défaut d’accord de retrait ou de dispositions spécifiques en ce sens, ces textes cesseront de s’appliquer au Royaume-Uni à compter du 29 mars 2019 et ne contraindront plus les opérateurs ou entités fournissant des services de communications électroniques sur le marché britannique. Ainsi, il convient notamment d’anticiper la possible survenance au Royaume-Uni d’un débat relatif à la neutralité du net.

 

A titre d’exemple, les frais d’itinérance ou « roaming » sont interdits dans l’Union européenne depuis le 15 juin 2017 et permettent aux ressortissants britanniques disposant d’un forfait auprès d’un opérateur de télécommunications britannique de ne pas avoir de surcoût lors de communications réalisées dans les autres pays de l’Union. Depuis cette date, les communications mobiles, en ce comprenant surtout les données, ont explosé. En cas de « no-deal Brexit » les opérateurs britanniques pourraient se voir facturés par les opérateurs européens pour les communications réalisées sur le territoire de l’Union par leurs clients, et contraints de facturer ces communications à leurs clients. De même, les opérateurs européens pourraient être facturés au titre des communication de leurs clients réalisés sur le territoire anglais. Afin d’éviter cette situation, une négociation d’opérateurs à opérateurs devrait être menée.

Soulignons qu’il semble y avoir plus de ressortissants anglais qui passent de longues périodes en Europe, pour des vacances notamment, que d’européens en Grande-Bretagne, qui d’ailleurs y réalisent en général des séjours plus courts.

 

En vue du retrait effectif de l’Union européenne qui approche à grands pas, le gouvernement britannique a publié des notes d’information anticipant un « no-deal Brexit », dont une spécifique au cas de l’itinérance ou « roaming ». Dans cette note, le gouvernement britannique indique qu’il légiférera, sous réserve de l’accord du parlement, pour le maintien d’un plafond relatif au volume d’internet mobile utilisable en itinérance internationale (actuellement plafonné à 50€ par l’Union européenne, le gouvernement britannique indique qu’il fixera ce plafond à £45) et s’assurera du maintien des alertes de consommation prévues lorsque le consommateur atteint 80% et 100% du seuil de son forfait.

 

Un projet de loi déposé devant le parlement britannique le 5 février dernier laisse toutefois entendre que les opérateurs britanniques pourraient se voir libérer de leur interdiction de facturer des frais d’itinérance à leurs clients lors de communications réalisées dans les autres pays de l’Union européenne. Les clients d’opérateurs britanniques utilisant leurs forfaits dans les autres pays de l’Union pourraient ainsi voir les frais d’itinérance réapparaître suite à un « no-deal Brexit ».

 

 

Quels impacts du Brexit sur les opérateurs télécoms ?

Sous l’égide du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE »), et notamment des libertés d’établissement [2] et de libre prestation des services [3] à l’intérieur de l’Union, toute entité britannique a le droit de fournir des services de communications électroniques dans n’importe quel autre état de l’Union européenne, à condition de se conformer aux éventuelles règles nationales spécifiques applicables aux entités situées dans ledit état membre. Il en va de même pour toute entité basée dans un état membre, qui bénéficie ainsi du droit de fournir des services de communications électroniques au Royaume-Uni.

 

En cas de retrait sans accord, ou « no-deal Brexit », le TFUE cessera de s’appliquer au Royaume-Uni et ne permettra plus aux sociétés établies dans l’Union européenne de fournir librement des services de communications électroniques au Royaume-Uni. Toutefois, il convient de préciser que le gouvernement britannique rappelle que les opérateurs télécoms britanniques continueront à bénéficier du droit de fournir des services de télécommunications transfrontaliers et donc notamment dans l’Union européenne conformément à l’Accord général sur le commerce des services (« AGCS » ou « GATS » en anglais) de l’Organisation mondiale du commerce, dont le Royaume-Uni et l’Union européenne sont membres.

Les entreprises britanniques, quant à elles, seront directement impactées par les divergences qui pourront apparaître entre les réglementations britanniques et de l’Union européenne, et ne pourront plus se fonder sur leur conformité aux règles de droit interne pour fournir des services dans l’Union européenne.

 

Le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne pourrait également avoir une incidence sur les sociétés établies en dehors de l’Union qui choisissaient de s’implanter dans un premier temps au Royaume-Uni avant de s’attaquer au marché européen dans son ensemble. Ainsi par exemple, un opérateur télécom indien pouvait décider de commencer sa conquête du marché européen par l’Angleterre comme pays test, puis l’étendre à d’autres pays européen. Cette stratégie très pertinente dans un milieu réglementé perdrait alors tout intérêt en ce que la conformité aux règles de droit britanniques risque de ne plus être suffisante pour permettre la fourniture de services de communications électroniques dans l’Union européenne.

 

Pour finir, le gouvernement britannique indique, dans une note d’information parue le 13 septembre 2018 visant à préparer les opérateurs télécoms à un « no-deal Brexit », qu’en cas d’adoption du nouveau code européen des communications électroniques avant le 29 mars 2019 mais avec un délai de transposition postérieur au retrait, le gouvernement a l’intention d’implanter en droit britannique, lorsque c’est pertinent, les dispositions fondamentales de ce nouveau code qui viendront soutenir la politique nationale du Royaume-Uni en matière de communications électroniques. Ce nouveau code ayant été adopté le 11 décembre 2018 et prévoyant un délai de transposition allant jusqu’au 21 décembre 2020 (soit vraisemblablement postérieur au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne), le gouvernement britannique devrait, d’ici fin 2020, prendre des mesures allant dans le sens des dispositions communautaires pour ce qui concerne la réglementation du secteur des communications électroniques.

 

 

Pour conclure, pour les particuliers et les entreprises, une vigilance sur les conditions prévues à leur contrat et sur les tarifs qui pourraient être appliqués aux communications (voix et données) émises de Grande-Bretagne est de mise.

Bien qu’il semble que les acteurs des télécoms ont intérêt à la stabilité, il convient de suivre les évolutions du marché et notamment la stratégie de certains acteurs émergents dont l’objet est de fournir des services de communications internationales.

 

 

Par AGIL’IT – Pôle IT , Télécoms & Data protection

Sylvie JONAS, Avocate associée

Morgane BOURMAULT, Avocate

 

 

 

[1] Le Paquet Télécom est notamment composé d’une directive (2009/140/CE) qui amende trois directives existantes :

  • directive accès (2002/19/CE)
  • directive autorisation (2002/20/CE)
  • directive cadre (2002/21/CE)

Et d’une directive (2009/136/CE) qui amende deux directives existantes :

  • directive service universel (2002/22/CE)
  • directive vie privée et communications électroniques (2002/58/CE)

Et d’un règlement (CE) No 1211/2009 instituant l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE)

[2] Articles 49 à 55 du TFUE

[3] Articles 56 à 62 du TFUE