Orange mis en demeure par l’Arcep : rappel à l’ordre quant à l’effectivité de l’accès aux offres de gros pour les opérateurs tiers

Déjà mis en demeure en octobre dernier par l’Arcep[1] au sujet d’une baisse de qualité de service dans le cadre du service universel téléphonique, Orange se voit aujourd’hui reprocher le non-respect de ses obligations notamment quant à l’accès des prestations de gros sur son réseau cuivre et mis en demeure de respecter son obligation en redressant le niveau de qualité de service de ses prestations.

 

 

Par une décision n°2018-1596 RDPI du 18 décembre 2018 publiée sur le site de l’Arcep le 16 janvier 2019, l’opérateur historique a été mis en demeure d’améliorer la qualité de services de ses offres de gros activées à destination des entreprises et de ses offres de gros d’accès généraliste à la boucle locale cuivre.

 

Afin de permettre à une concurrence effective et loyale de se développer dans le secteur des télécommunications, et ce dans l’intérêt des utilisateurs, l’Arcep procède à une « analyse des marchés »[2]. Ce processus consiste à identifier les marchés du secteur qui requièrent un dispositif de régulation particulier (un « marché pertinent »), à désigner sur ce marché pertinent le ou les opérateurs qui détiennent une « influence significative » et à imposer à ce ou ces opérateurs des obligations spécifiques, adaptées et proportionnées (un « remède »[3]) aux problèmes constatés.

 

Si l’opérateur ne se conforme pas dans les délais fixés à la mise en demeure, le dossier peut être transmis à la formation restreinte, après notification des griefs à la personne cause. La formation restreinte peut prononcer une sanction, notamment pécuniaire, dont le montant est proportionné à la gravité du manquement et aux avantages qui en sont tirés, et peut atteindre jusqu’à 3% du chiffre d’affaires de l’opérateur[4], soit un peu plus d’un milliard d’euros pour ce qui concerne Orange.

 

 

La mise de demeure d’Orange publiée le 18 décembre 2018 par l’Autorité vise, dans un premier temps, les offres de gros à destination des entreprises. Par une décision n°2017-1349 du 14 décembre 2017 portant sur la définition des marchés pertinents de gros des accès de haute qualité, l’Autorité a estimé qu’Orange exerçait une influence significative sur ce marché et lui a imposé à ce titre plusieurs obligations, et notamment de :

– Faire droit à toute demande raisonnable d’accès à des éléments du réseau ou à des moyens qui y sont associés[5] ;

– Prévoir, au titre de l’obligation de fournir l’accès dans des conditions non-discriminatoires, un engagement de qualité de service et des garanties de niveau de service pour les prestations du marché de gros défini[6] ;

– Mesurer et publier mensuellement des indicateurs de qualité de service pertinents pour l’ensemble des prestations visées, ainsi que pour les offres correspondantes commercialisées par Orange sur le marché de détail aval[7].

 

Dans un deuxième temps, cette mise en demeure vise également les prestations de gros pour le marché de masse sur le réseau cuivre. En effet, au titre de deux décisions du 14 décembre 2007, à savoir la décision n°2017-1347 (qui vise le marché de « fourniture en gros d’accès local en position déterminée », c’est-à-dire l’accès aux boucles locales, au génie civile, au dégroupage et donc les câbles cuivre, la fibre optique et les infrastructures d’accueil) et la décision n°2017-1348 (qui vise le marché de « fourniture en gros d’accès central en position déterminée », c’est-à-dire les services de bande passante sur réseau filaire pour le grand public et les TPE/PME (cuivre en DSL, fibre optique ou câble coaxial), autrefois appelé bitstream), l’Arcep a estimé qu’Orange exerçait une influence significative sur ce marché et lui a imposé à ce titre de :

– Faire droit aux demandes raisonnables d’accès dégroupé à la boucle locale cuivre et à la sous-boucle cuivre avec une qualité de service de nature à assurer l’effectivité de l’accès et de permettre aux opérateurs tiers de fournir leurs propres offres[8] ;

– Répondre aux demandes raisonnables d’accès aux offres de gros sur les services de bande passante sur réseau filaire (cuivre, fibre optique ou câble coaxial) avec une qualité de service de nature à assurer l’effectivité de l’accès et de permettre aux opérateurs tiers de fournir leurs propres offres[9].

 

Ces obligations doivent permettre « d’assurer l’effectivité de l’accès [aux marchés précités] en garantissant aux opérateurs tiers la capacité de fournir leurs propres offres dans des conditions appropriées et, in fine, l’exercice d’une concurrence effective et loyale au bénéfice des clients finals »[10].

 

 

Suite à la constatation d’une baisse de la qualité des offres activées d’Orange sur le marché du gros à destination des entreprises et des offres d’accès à la boucle locale cuivre à destination du marché de masse, la formation de règlement des différends, de poursuite et d’instruction (RDPI) de l’Arcep a ouvert, le 25 septembre 2018, par la décision n°2018-1197-RDPI, une instruction relative aux manquements éventuels d’Orange notamment aux décisions n°2017-1347, n°2017-1348 et n°2017-1349 précitées.

 

Pour ce qui concerne les offres de gros à destination des entreprises, l’Autorité constate une dégradation sensible de la production de nouveaux accès, tant pour le support cuivre que pour les accès sur support optique qui se matérialise notamment par un taux de respect de la date contractuelle de livraison inférieur aux objectifs (80 à 85% en fonction des offres pour l’année 2018, alors que l’objectif fixé est de 90%). L’Arcep estime que les niveaux atteints sont très insatisfaisants et ne permettent pas aux opérateurs alternatifs d’effectuer la livraison des commandes de leurs clients finaux avec un niveau de qualité suffisant. De surcroit, l’Autorité estime que, au vu des éléments avancés par Orange dans le cadre de l’instruction, ces difficultés ont de grandes chances de se renforcer.

L’Autorité constate également, concernant la maintenance des accès, un taux de respect de la garantie de temps de rétablissement et du délai moyen de rétablissement en baisse qui n’atteint pas les objectifs fixés (notamment un taux de respect de la garantie de temps de rétablissement inférieur à 70% pour les accès sur support optique pour 4 des 6 derniers mois, soit 20 points de pourcentage en-dessous de l’objectif).

Au regard de ces éléments, l’Arcep estime qu’Orange a méconnu son obligation prévue aux articles 4, 21 et 23 de la décision n°2017-1349 précitée et ne garantit donc pas l’effectivité de l’accès à des offres de gros activées pour les opérateurs tiers. Orange est donc notamment mis en demeure, pour chaque produit ne respectant pas les objectifs de qualité de service, de se conformer à partir du quatrième trimestre de 2019 aux objectifs de la décision n°2017-1349. Afin de laisser un délai raisonnable à Orange pour adapter ses moyens, des valeurs minimales intermédiaires sont fixées pour l’année 2019.

 

Pour ce qui concerne les prestations de gros pour le marché de masse sur le réseau cuivre (raccordement de clients finals pour le compte d’opérateurs tiers soit au titre du dégroupage, soit au titre d’une offre activée), l’Autorité constate une forte dégradation de qualité de service des prestations de production de nouveaux accès, et ce particulièrement pour les nouvelles lignes à construire, qui se matérialise par une dégradation du délai de production, du taux d’échec (commandes refusées ou non produites) et du taux de postproduction (défaut dans le mois suivant la livraison). L’allongement du délai de livraison, conjointement à un taux d’échec élevé, ne permet pas d’assurer un accès effectif aux prestations de gros sur la boucle locale cuivre.

L’Autorité relève également que les délais de rétablissement des lignes suite à des incidents atteignent des niveaux élevés qualifiés de préoccupants. Les taux de réitération élevés illustrent, selon l’Arcep, la défaillance des prestations du marché de masse pour le cuivre, et ce aux dépens des utilisateurs finals et du fournisseur d’accès.

Les justifications avancées par Orange n’ont pas été de nature à convaincre l’Arcep de l’exonérer de son obligation, et les actions déjà entreprises n’ont pas été jugées suffisantes pour permettre un redressement de qualité de service à court ou moyen terme. Au regard de la dégradation significative de la qualité de service, d’un allongement considérable des délais (que ce soit en production ou en rétablissement), d’un défaut de qualité sensible (taux de postproduction, taux d’échec, etc.), l’Arcep estime que la capacité des opérateurs tiers à livrer leurs propres offres haut débit sur les marchés aval est affectée et qu’Orange ne respecte pas son obligation de faire droit aux demandes raisonnables d’accès à des prestations de gros sur le réseau cuivre dans des conditions de nature à en assurer l’effectivité telle que prévue notamment par les décisions n°2017-1347 et n°2017-1348 précitées.

 

Orange est donc mis en demeure de respecter, à partir du 1er octobre 2019, des indicateurs relatifs notamment au taux d’échec à la boucle locale, au délai de construction de ligne et au délai de relève. Afin de laisser un délai raisonnable à Orange pour adapter ses moyens, des valeurs minimales intermédiaires sont fixées pour les trois premiers trimestres de l’année 2019.

 

Une affaire à suivre.

 

Par AGIL’ITPôle IT – Télécoms – Data Protection

Sylvie JONAS, Avocate associée

Morgane BOURMAULT, Avocate

 

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[1] Autorité de régulation des communications électroniques et des postes

[2] Article L37-1 et suivants du Code des postes et des communications électroniques

[3] Voir « 2.6 Remedies » de la note explicative SEC(2007)1483/2 qui accompagne la Directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive “cadre”)

[4] Article L36-11 du Code des postes et des communications électroniques

[5] Article 4 de la décision n°2017-1349 précitée

[6] Article 21 de la décision n°2017-1349 précitée

[7] Article 23 de la décision n°2017-1349 précitée

[8] Articles 3, 35 et 37 de la décision n° 2017-1347 précitée

[9] Articles 3, 16 et 18 de la décision n° 2017-1348 précitée

[10] Page 8 de la Décision n°2018-1596-RDPI de l’Arcep