Peut-on être salarié de sa propre société ?

Je rencontre régulièrement des créateurs d’entreprise, qui me demandent s’ils peuvent être salariés de leur société.

 

Peut-on être associé et/ou dirigeant d’entreprise et bénéficier du statut protecteur de salarié ?

 

Au préalable, il peut être utile de rappeler que sauf cumul avec un contrat de travail, les dirigeants d’entreprise (Président, Gérant etc.), appelés également mandataires sociaux, n’ont pas le statut de salarié : Ils ne sont pas embauchés mais nommés. Ils ne sont pas licenciés mais révoqués. Leur rémunération n’est pas un salaire et ils n’ont pas le droit aux allocations chômage en cas de cessation de leurs fonctions. Le statut social des dirigeants d’entreprise est celui des travailleurs non-salariés (TNS) ou des assimilés salariés et ils ne bénéficient en aucun cas de l’assurance chômage au terme de leur mandat, ni des congés payés.

 

Sauf cas particuliers liés à la forme de la société et développés ci-après, le fait d’être associé d’une société et/ou d’y exercer un mandat social n’est pas exclusif de l’existence d’un contrat de travail.

 

Cependant, ce cumul n’est valable que si les conditions nécessaires à l’existence d’un contrat de travail sont réunies :

  • Le contrat de travail doit porter sur un travail réel et des fonctions techniques et (en cas de mandat social) distinctes des fonctions de mandataire social.

L’existence de fonctions techniques est plus difficile à démontrer dans les sociétés de petite taille au sein desquelles les fonctions de direction générale se confondent souvent avec les fonctions de direction technique.

 

  • L’existence d’un lien de subordination entre le salarié et la société

La société étant une personne morale, ce lien de subordination ne peut se matérialiser que vis-à-vis d’une (ou plusieurs) personne physique qui représente la société (Président, Gérant etc…).

Le lien de subordination s’apprécie en fonction de circonstances de fait (horaires à respecter, obligation d’exécuter des travaux déterminés au sein d’un service organisé, obligation de rendre des comptes à un ou plusieurs supérieurs hiérarchique etc…).

 

  • L’existence d’une rémunération (distincte de la rémunération du mandataire social en cas de cumul avec un mandat social).

 

Il est important de préciser que la validité du contrat de travail est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond. C’est-à-dire que le juge doit examiner au cas par cas, si les conditions susmentionnées sont réunies. La méthode du faisceau d’indice est utilisée.

 

Il ne peut donc pas être donné une réponse générale et chaque cas doit être examiné particulièrement. Néanmoins la jurisprudence fait ressortir des tendances qui permettent de distinguer les cas dans lesquels le statut de salarié est exclu (I – Zone rouge), des cas dans lesquels le statut de salarié est envisageable (II – Zone grise) ou encore des cas dans lesquels le statut de salarié ne pose a priori pas de difficultés (III – Zone verte).

 

1. ZONE ROUGE : Cas dans lesquels le statut de salarié est exclu


1.1 Associé unique dirigeant d’une société unipersonnelle (EURL ou SASU)

 

Dans ce cas, l’existence d’un lien de subordination avec la société est impossible car tous les organes de la société (organe de décision et organe de direction) sont représentés par une seule et même personne, qui, par nature, n’a personne à qui rendre des comptes et personne pour contrôler son travail.

 

1.2 Associé unique non dirigeant d’une société unipersonnelle (EURL ou SASU)

 

 

La question a été récemment tranchée par un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 16 janvier 2019 n°16-1-2019 : un associé unique d’EURL ne peut pas être salarié de la société.

 

Cet arrêt rendu dans le cadre d’une EURL est transposable à la SASU lorsque le Président est nommé et révoqué par l’associé unique.

 

 1.3 Associé majoritaire dirigeant

 

Le cumul de la majorité aux assemblées et du pouvoir de gestion exclut l’existence d’un lien de subordination.

 

1.4 Associé d’une société en nom collectif (SNC) et associé commandité de sociétés en commandite simple (SCS) et par actions (SCA)

 

La qualité de commerçant reconnue aux associés des SNC et aux associés commandités de SCA et SCS est incompatible avec celle de salarié (Cass. Soc. 14 octobre 2015 n°14-10.960 pour la SNC).

 

 1.5 Associé de société civile professionnelle

 

Les dispositions propres aux sociétés civiles professionnelles (article 11 de la loi 66-879 du 29 novembre 1966) prévoient expressément qu’il ne peut en aucun cas exister un lien de subordination entre les associés et la société civile professionnelle pour l’accomplissement de leurs actes professionnels.

 

1.6 Président du Conseil d’administration d’une SA de « grande taille »

 

En application des dispositions de l’article L.225-44 du Code de commerce, le Président du Conseil d’administration, en sa qualité d’administrateur, ne peut pas conclure un contrat de travail avec la société.

 

Il est fait exception à cette règle dans les PME (art. L.225-21-1 du Code de commerce).

 

En revanche, un salarié peut devenir Président du Conseil d’administration sans perdre le bénéfice de son contrat de travail.

 

Une distinction doit donc être faite en fonction de la date à laquelle le contrat de travail est conclu.

 

Le Directeur Général peut quant à lui cumuler son mandat social avec un contrat de travail lorsque les conditions de travail réel, de lien de subordination et de rémunération distincte sont réunies.

 

 

 2. ZONE GRISE : Cas dans lesquels le statut de salarié est envisageable

 

2.1 Associé majoritaire non dirigeant

 

Dans ces cas, la difficulté réside souvent dans la preuve du lien de subordination : Il faut démontrer que l’associé, bien que majoritaire à l’assemblée, est placé, dans le cadre de ses fonctions de salarié, sous l’autorité du dirigeant et qu’il ne s’immisce pas dans la gestion de la Société.

 

Cette démonstration n’est pas évidente mais néanmoins la jurisprudence a reconnu dans certains cas l’existence d’un contrat de travail (Cass. Soc. 28 janvier 1982, Assédic des Alpes-Maritimes c/ Bouvy (dans une SARL), Cass. Soc. 7 mai 1981, Société Art et technique du bois c/ Mugnier (dans une SA)).

 

2.2 Associé minoritaire ou égalitaire dirigeant / Dirigeant non associé

 

Dans ces trois cas, la difficulté réside davantage dans l’existence d’un mandat social que dans la qualité d’associé.

 

En effet, l’analyse de la jurisprudence permet de considérer que la qualité d’associé minoritaire (Cass. soc.13 juillet 2010 n°09-40.531) ou égalitaire (Cass. soc. 3 mai 2001 n°99-41316) n’exclut pas la possibilité de conclure un contrat de travail.

 

Si la Cour de cassation rappelle régulièrement que le cumul entre mandat social et le statut de salarié est possible (Cass. soc. 5 février 1981, n°79-14.798), il demeure difficile de démontrer l’existence d’un lien de subordination lorsque le salarié est également dirigeant, mais ce n’est pas impossible (Cass. Soc.18 juin 1986, n°84-13.853, Cass. Soc. 16 mai 1990, n°86-42.681, Cass. soc. 23 mai 2007 n°05-44.714).

 

 3. ZONE VERTE : Cas dans lesquels le statut de salarié ne pose à priori pas de difficulté

 

3.1 Associé minoritaire ou égalitaire non dirigeant

 

Finalement, le seul cas qui ne pose a priori pas de difficulté est le cas de l’associé minoritaire ou égalitaire non dirigeant.

 

Attention toutefois à ce que l’associé salarié ne s’immisce pas dans la gestion de la société au point d’être qualifié de dirigeant de fait. En effet, les solutions relatives aux dirigeants de droit sont applicables aux dirigeants de fait.

 

Salomé GARLANDAT