Les limites du pouvoir du juge des référés en matière d’assemblée générale de société

Dans un récent arrêt du 13 janvier 2021 (n° 18-25.713), la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle les limites des pouvoirs du juge des référés, dans un contexte qui nous intéresse particulièrement : les assemblées générales des sociétés.

Il ressort de cet arrêt que, pour prévenir un dommage imminent, le juge des référés peut reporter l’assemblée générale d’une société, suspendre ses effets lorsqu’elle s’est déjà tenue, mais il ne peut l’annuler, même en cas de trouble manifestement illicite.

 

En l’espèce, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel qui avait jugé que seule l’annulation des délibérations permettait de faire cesser le trouble manifestement illicite, jugeant que l’annulation des délibérations de l’assemble générale n’entre pas dans les pouvoirs du juge des référés.

La Haute Juridiction confirme en revanche la décision de la Cour d’appel de reporter une assemblée générale.

 

Rappelons à ce titre que les ordonnances de référé sont des décisions provisoires qui n’ont pas autorité de la chose jugée « au principal » (CPC art. 484 et 488, al. 1). En d’autres termes, elles n’ont pas vocation à trancher le fond du litige.

En matière commerciale, les pouvoirs du juge des référés sont précisés par les articles 872 et suivants du code de procédure civile.

 

En l’espèce, l’ordonnance de référé était fondée sur les dispositions de l’article 873 selon lequel le président peut (…) même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

L’arrêt du 13 janvier 2021, rappelle néanmoins que malgré la présence de circonstances exceptionnelles, le juge des référés ne peut outrepasser ses pouvoirs.

 

Dans cette affaire, les associés majoritaires d’une société convoquent l’associé minoritaire à une première assemblée ayant pour ordre du jour la révocation de ce dernier de ses fonctions de président. L’associé minoritaire obtient en référé le report de l’assemblée à une date postérieure (en raison de la mission en cours d’un administrateur judiciaire). Quelques jours plus tard, les associés majoritaires convoquent le minoritaire à une seconde assemblée appelée à voter sur la rémunération de celui-ci mais, lors de cette assemblée, ils en modifient l’ordre du jour et le révoquent. L’associé minoritaire saisit alors de nouveau le juge des référés et obtient l’annulation des résolutions litigieuses.

La Cour d’appel de Dijon, puis la Cour de cassation sont successivement saisies de ces ordonnances de référé.

La décision de report de la première assemblée est validée. En revanche la décision d’annulation des délibérations d’assemblée générale est cassée.

 

C’est au visa de la combinaison des articles L. 235-1 du code de commerce et 873, alinéa 1er, du code de procédure civile que les juges de la Cour de cassation concluent que l’annulation des délibérations de l’assemblée générale d’une société, qui n’est ni une mesure conservatoire, ni une mesure de remise en état, n’entre pas dans les pouvoirs du juge des référés. Ils jugent le juge des référés incompétent pour annuler les délibérations de l’assemblée générale d’une société, fût-ce pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Seule une suspension des effets de la deuxième assemblée aurait été possible.

 

Cette position de la juridiction suprême nous semble cohérente et en conformité avec la jurisprudence établie en la matière, selon laquelle « l’annulation des délibérations d’une assemblée générale ne constitue ni une mesure conservatoire ni une mesure de remise en état et n’entre pas dans les pouvoirs du juge des référés » (Cass. com. 29-9-2009 no 08-19.937 : Bull. civ. IV no 118).

 

A noter que la Cour de cassation nous précise que le juge aurait pu suspendre les effets de l’assemblée générale plutôt que de l’annuler, ce qui offre une alternative intéressante en cas de litige entre associés.

 

Par AGIL’IT – Pôle Droit des sociétés – Private Equity – M&A

Salomé GARLANDAT , Avocate associée
Malafoa YOUSSOUPH, Avocate