Véhicule professionnel et géolocalisation : quel encadrement ?

Les systèmes de géolocalisation sont régulièrement utilisés par les employeurs s’agissant des véhicules de fonction ou des véhicules de service mis à disposition de certains membres du personnel. Or, le recours à ces outils fait l’objet d’un encadrement juridique strict, tant en matière de droit du travail qu’en matière de droit de la protection de données à caractère personnel. La Cour d’appel de Toulouse, dans un arrêt rendu le 7 février 2020[1], vient rappeler les limites à leur utilisation.

 

La géolocalisation est définie par la Commission nationale informatique et libertés (la « Cnil ») comme la « technologie permettant de déterminer la localisation d’un objet ou d’une personne avec une certaine précision. La technologie s’appuie généralement sur le système GPS ou sur les interfaces de communication d’un téléphone mobile. Les applications et finalités de la géolocalisation sont multiples : de l’assistance à la navigation, à la mise en relation des personnes, mais aussi à la gestion en temps réel des moyens en personnel et en véhicules des entreprises, etc. ».

 

Or, si la géolocalisation des véhicules d’une entreprise peut être autorisée dans certaines hypothèses, une nouvelle décision de justice vient opportunément rappeler que les finalités d’utilisation d’un tel dispositif doivent être proportionnées au but recherché, sous peine que les enregistrements associés au dispositif de localisation soient considérés comme illicites et donc insusceptibles de rapporter la preuve de faits reprochés par un employeur à un salarié pour fonder le licenciement de ce dernier.

 

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Dans l’affaire soumise à la Cour d’appel de Toulouse, qui a rendu sa décision le 7 février dernier, un employeur avait équipé les véhicules professionnels de ses salariés d’un dispositif de géolocalisation, et s’était fondé sur les enregistrements issus de ce dispositif afin de rapporter la preuve du non-respect par un salarié de ses horaires et de son temps de travail afin de procéder au licenciement de ce dernier. Si le recours à une telle technologie n’est pas prohibé en soit, la Cour rappelle qu’elle ne peut être utilisée qu’à titre subsidiaire s’agissant du contrôle du temps de travail des salariés, rejette la preuve apportée par l’employeur aux moyens du dispositif de géolocalisation du fait de son caractère illicite, et confirme le jugement de 1ère instance qui avait considéré que le licenciement du salarié concerné était sans cause réelle et sérieuse.

 

Le principe strict de subsidiarité s’agissant du recours à un système de géolocalisation pour contrôler le temps de travail

Pour mémoire, le recours à la géolocalisation des véhicules professionnels n’est pas interdit par principe. Toutefois, cette pratique doit être conciliées avec les dispositions légales et réglementaires applicables.

Or, aux termes de l’article L.1121-1 du Code du travail : « nul ne peut porter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Par ailleurs, l’article 5 du Règlement européen sur la protection des données (ci-après “RGPD) précise que les données à caractère personnel ne peuvent être collectées et traitées que pour des finalités déterminées, explicites et légitimes. En outre, hors les hypothèses dans lesquelles la mise en œuvre d’un traitement de données à caractère personnel est nécessaire pour l’exécution d’un contrat, imposée par les textes ou encore réalisé avec le consentement des personnes concernées (ce qui ne peut par principe être demandé à un salarié dans la mesure où le lien de subordination le liant à son employeur risque de remettre en cause la validité de son consentement), un traitement de données à caractère personnel peut être mis en œuvre s’il repose sur les intérêts légitimes du responsable de traitement, sous réserve que ne prévalent pas les intérêts ou encore les droits et libertés fondamentaux des personnes dont les données sont traitées (cf. notion de balance des intérêts et de proportionnalité).

 

Dès lors, l’utilisation d’un système de géolocalisation s’agissant des véhicules professionnels des salariés n’est pas prohibée par principe, mais comment interpréter le caractère proportionné du recours à un tel dispositif ?

A cet égard, les recommandations de la Cnil dans sa fiche technique et dans sa norme simplifiée 51 relatives à la géolocalisation des véhicules des employés permettent une meilleure appréhension de cette notion.

Ainsi, l’installation d’un système de géolocalisation dans le véhicule professionnel d’un salarié est considérée comme justifiée par la Cnil pour les finalités suivantes :

  • suivre, justifier et facturer une prestation de transport de personnes, de marchandises ou de services directement liée à l’utilisation du véhicule (par exemple, les ambulances dans le cadre de la dématérialisation de la facturation de l’assurance maladie) ;
  • assurer la sécurité du salarié, des marchandises ou des véhicules dont il a la charge, et notamment de retrouver le véhicule en cas de vol (par exemple, avec un dispositif inerte activable à distance à compter du signalement du vol) ;
  • améliorer les moyens mis en œuvre pour des prestations à accomplir en des lieux dispersés, notamment pour des interventions d’urgence (par exemple, identifier le salarié le plus proche d’une panne d’ascenseur ou l’ambulance la plus proche d’un accident) ;
  • respecter une obligation légale ou réglementaire imposant la mise en œuvre d’un dispositif de géolocalisation en raison du type de transport ou de la nature des biens transportés ;
  • contrôler le respect des règles d’utilisation du véhicule.

En revanche, la Cnil prohibe toute utilisation d’un système de géolocalisation pour :

  • contrôler le respect des limitations de vitesse ;
  • contrôler un salarié en permanence ;
  • calculer le temps de travail des salariés alors qu’un autre dispositif existe déjà.

Dès lors, la géolocalisation des véhicules de fonction ou de service des salariés pour calculer / contrôler leur temps de travail ne peut être utilisée que si aucun autre moyen ne peut être mis en place, et sous réserve notamment de ne pas collecter ou traiter de données de localisation en dehors du temps de travail des employés concernés. Le recours à une telle technologie présente donc un caractère subsidiaire.

 

La chambre sociale de la Cour de cassation est déjà venue le préciser, par exemple dans un arrêt du 19 décembre 2018 dans lequel elle rappelle le principe de subsidiarité de l’utilisation d’un système de géolocalisation, sanctionnant la Cour d’appel pour ne pas avoir démontré que « le système de géolocalisation mis en œuvre par l’employeur était le seul moyen permettant d’assurer le contrôle de la durée du travail de ses salariés » (voir également notre précédent article commentant cette décision).

Dès lors, l’employeur ne peut mettre en place un système de géolocalisation aux fins de contrôle du temps de travail de ses salariés qu’en dernier recours.

 

C’est l’application de ce principe qui amène la Cour d’appel de Toulouse, dans l’arrêt ici commenté du 7 février 2020, à considérer en l’espèce (cf. salarié monteur câbleur en charge de la réalisation d’intervention dans les locaux des clients) que la mise en place d’un système de géolocalisation est « insusceptible d’être justifié, eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts légitimes de l’employeur, de sorte qu’il constitue un moyen de preuve illicite ». Ne disposant pas d’autres éléments pour rapporter la preuve du non-respect par le salarié de ses horaires, l’employeur ne peut démontrer les reproches effectués à l’encontre de son salarié, ce dont il résulte que la Cour d’appel confirme le jugement de 1ère instance en ce qu’il a considéré que le licenciement du salarié était dénué de cause réelle et sérieuse (confirmant pas là-même notamment le prononcé par le Conseil de prud’hommes de dommages et intérêts dus par l’employeur au salarié).

 

Les obligations complémentaires résultant du recours à un système de géolocalisation

Bien que la Cour d’appel ne fasse pas état des considérations applicables en matière de protection des données à caractère personnel aux dispositifs de géolocalisation, il est opportun de rappeler qu’outre le fait que la finalité d’un tel dispositif est très encadrée, d’autres précautions doivent être prises.

 

Une information relative au dispositif

A l’instar de ce que nous évoquions dans un précédent article s’agissant des les systèmes de vidéosurveillance au sein d’une entreprise, la mise en place d’un système de géolocalisation doit être portée à la connaissance de l’ensemble des salariés concernés. Cette obligation rejoint l’exigence de transparence visée aux articles 5, 13 et 14 du RGPD mais également par l’article L1222-4 du Code du travail qui énonce qu’« aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance ».

La Cnil précise en ce sens que les salariés doivent notamment :

  • être informés dès l’installation du dispositif ou, le cas échéant, lors de la mise à disposition du véhicule, cette information devant porter sur l’existence d’un tel dispositif mais également sur les caractéristiques des traitements de données à caractère personnel pouvant en résulter conformément aux textes applicables ;
  • avoir accès aux données les concernant enregistrées par l’outil (dates et heures de circulation, trajets effectués, etc.) ;
  • pouvoir désactiver la collecte ou la transmission de leurs données en dehors du temps de travail. L’employeur peut en revanche contrôler le nombre ou la durée des désactivations et, le cas échéant, demander des explications au salarié et éventuellement sanctionner tout abus.

En outre, les formalités adéquates auprès des instances représentatives du personnel doivent également être réalisées avant toute mise en place d’un dispositif de géolocalisation.

 

Des données adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire

Dans le cadre de sa doctrine, la Cnil rappelle également que des données à caractère personnel ne peuvent être collectées que si elles sont adéquates, pertinentes et non excessives au regard de la finalité poursuivie par le responsable de traitement. Ce dernier doit ainsi être en mesure de justifier du caractère nécessaire des données à caractère personnel effectivement collectées. A cet égard, elle recommande de ne traiter, pour les finalités qu’elle considère comme légitimes, que les données suivantes :

a) l’identification de l’employé : nom, prénom, coordonnées professionnelles, matricule interne, numéro de plaque d’immatriculation du véhicule ;

b) les données relatives aux déplacements des employés : données de localisation issues de l’utilisation d’un dispositif de géolocalisation, historique des déplacements effectués ;

c) les données complémentaires associées à l’utilisation du véhicule : vitesse de circulation du véhicule, nombre de kilomètres parcourus, durées d’utilisation du véhicule, temps de conduite, nombre d’arrêts ;

d) la date et l’heure d’une activation et d’une désactivation du dispositif de géolocalisation pendant le temps de travail.

Sauf si une disposition légale le permet, le traitement de la vitesse maximale ne peut s’effectuer.

Par ailleurs, pour ne pas porter atteinte au respect de l’intimité de la vie privée, il n’est pas possible de collecter une donnée de localisation en dehors du temps de travail du conducteur, en particulier lors des trajets effectués entre son domicile et son lieu de travail ou pendant ses temps de pause.

 

Une durée de conservation limitée

Comme toute opération de traitement de données à caractère personnel, la mise en œuvre d’un système de géolocalisation nécessite que la durée de conservation soit limitée à ce qui est nécessaire.

La Cnil préconise en ce sens que les informations obtenues ne soient pas conservées, sauf obligation légale spécifique, au-delà de deux mois.

Par exception, cette durée peut être étendue à un an lorsque les données sont utilisées pour optimiser les tournées ou pour prouver que les prestations ont bien été réalisées si la preuve n’est pas possible autrement. En outre, cette durée peut être étendue à cinq ans lorsqu’elles sont utilisées pour le suivi du temps de travail (sous réserve que cette finalité puisse être poursuivie conformément au principe de proportionnalité en fonction des circonstances de l’espèce – cf. ci-dessus).

 

Un nombre limité de destinataires

Les données collectées par le biais du système de géolocalisation ne doivent être accessibles qu’à un nombre limité de destinataires. Seuls les employés habilités de l’employeur, dans la limite de leurs attributions respectives, doivent pouvoir accéder aux données à caractère personnel traitées dans le cadre d’un dispositif de géolocalisation, en particulier les personnes en charge de coordonner, de planifier ou de suivre les interventions, les personnes en charge de la sécurité des biens transportés ou des personnes ou, le cas échéant, le responsable des ressources humaines.

Pour rendre compte à un client ou à un donneur d’ordre sur l’état d’avancement d’une prestation, ou pour justifier de sa réalisation a posteriori, l’employeur doit communiquer les seules données nécessaires au regard de cette finalité. L’identité du conducteur du véhicule, sauf à ce qu’elle présente un intérêt particulier dans ce cadre, ne doit pas être communiquée au tiers.

En toutes hypothèses, les données transmises par le responsable de traitement doivent uniquement être rendues accessibles aux personnes habilitées à en connaitre au regard de leurs attributions.

 

La sécurité des données collectées

L’exigence de sécurité du système de géolocalisation est le corollaire de l’obligation de limitation et de justification des destinataires des données collectées. En effet, pour éviter que des personnes non autorisées puissent avoir accès aux données collectées au moyen d’un tel dispositif de géolocalisation, il est primordial que des mesures de sécurité soient mises en place.

A ce titre, les mesures suivantes doivent au minimum être instaurées :

  • un accès au dispositif de géolocalisation par le biais d’identifiant et d’un mot de passe ;
  • une politique d’habilitation ;
  • une sécurisation des échanges ;
  • une journalisation des accès aux données et des opérations effectuées ;
  • une vérification de la conformité à la règlementation en matière de protection des données de l’outil ou logiciel mis en place par le prestataire, notamment par la contractualisation des obligations incombant au sous-traitant en matière de sécurité et de confidentialité
  • la réalisation d’une analyse d’impact sur la protection des données à caractère personnel.

 

L’insertion du traitement dans le registre de l’employeur

Auparavant soumis à déclaration auprès de la Cnil, le système de géolocalisation doit, depuis l’entrée en vigueur du RGPD (cf. article 30), faire l’objet d’une inscription au registre des activités de traitement tenu par l’employeur.

 

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Il convient néanmoins d’être vigilant sur l’éventuelle évolution des recommandations de la Cnil à cet égard, dans la mesure où les traitements de données des salariés sont en ce moment au cœur des préoccupations de cette dernière (voir notamment notre article sur la publication du référentiel de la Cnil relatif aux traitements de données à caractère personnel pour une finalité de gestion des ressources humaines).

 

 

Agil’IT accompagne ses clients dans la mise en conformité de leurs traitements de données à caractère personnel, notamment ceux pouvant être mis en œuvre dans le cadre du déploiement d’un dispositif de géolocalisation, et s’appuie pour ce faire sur l’expertise croisée des membres du pôle IT, Data protection et Télécoms et du pôle Droit social.

 

 

Par AGIL’IT – Pôle IT, Data protection & Télécoms

Laure LANDES-GRONOWSKI, Avocate associée

 

 

[1] CA, Toulouse, 4e ch. Soc. Sect. 1, 7 février 2020, n°17/03729